Découvrez la lettre bouleversante de cette écrivaine qui, se sachant condamnée, recherche une nouvelle compagne pour son mari... avant de mourir

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Auteure de livre pour enfants, l’écrivaine américaine Amy Krouse Rosenthal, a eu recours à ses premiers amours afin de s’adresser au dernier : à travers son écriture et avant de rendre son dernier souffle, elle dresse le portrait de celui qui a partagé sa vie pendant plus de deux décennies sous la forme d’une petite annonce, dans l’optique de lui trouver… une nouvelle compagne.

 

Condamnée par un cancer des ovaires, Amy Krouse Rosenthal est décédée seulement 10 jours après la publication de cette lettre sur le New York Times, le lundi 13 mars. Elle avait 51 ans.

 

Heureux parents d’une tribu de trois, Amy et Jason ont vécu, ce qui semble avoir été, 26 merveilleuses années.

 

Découvrez ou redécouvrez, entre autres, leur magnifique histoire :

 

Crédit photo : twitter.com/MISSAMYKR


« J’ai été mariée à l’homme le plus extraordinaire pendant 26 ans. J’avais pour plan que nous en passions encore au moins 26 tous les deux. » 

« Cela fait quelque temps que j’essaie d’écrire ces mots, mais la morphine et le manque de cheeseburgers dégoulinants (combien de temps cela fait-il maintenant, cinq semaines sans « vraie » nourriture ?) ont drainé mon énergie et interféré avec le semblant de prouesses rédactionnelles qu’il me reste. Additionnellement, les microsiestes intermittentes qui n’ont de cesse de m’interrompre en plein milieu de mes phrases ne jouent clairement pas en la faveur de la rapidité de mon travail. Bien qu’elles restent, en toute honnêteté, un trip agréable.

 

Et pourtant, il faut que je m’y fasse, puisque j’affronte une deadline, et dans ce cas, une deadline particulièrement pressante. Il faut que je les écrive (et les écrive bien) pendant que j’ai a) votre attention, et b) un pouls.

 

J’ai été mariée à l’homme le plus extraordinaire pendant 26 ans. J’avais pour plan que nous en passions encore au moins 26 tous les deux.

 

Mais voulez-vous connaître la blague le plus dingue ? Un homme et sa femme se rendent aux urgences tard dans la soirée du 5 septembre 2015. Quelques heures et un test plus tard, le médecin explique que la douleur inhabituelle que la femme ressent sur le côté droit n’est pas l’appendicite de rien du tout que le couple suspectait mais plutôt un cancer des ovaires.

 

Alors que le couple rentre à la maison en cette matinée du 6 septembre, à travers le brouillard du choc qu’ils venaient de vivre, ils ont la révélation qu’en ce jour, le jour où ils ont appris ce qui tramait là-dessous, était aussi le jour où leur nid venait de se vider. Le plus jeune de leurs trois enfants venait juste de partir pour l’université.

 

Tant de projets sont tombés à l’eau.

 

Plus de voyage avec mon mari et nos parents en Afrique du Sud. Plus de raisons, non plus, d’envoyer ma candidature au panel du « Harvard Loeb Fellowship ». Plus de tour de rêve d’Asie avec ma mère. Plus de programmes d’écriture dans toutes ces merveilleuses écoles en Inde, à Vancouver, à Jakarta.

 

Tu m’étonnes que le mot cancer soit si similaire à cancel.

 

« Il s’agit d’un homme dont il très facile de tomber amoureuse. Cela m’a pris un jour. »

 

C’est ainsi que nous sommes entrés dans ce que je me suis mis à envisagé en Plan « Be » (« être » en anglais, ndlr), afin d’exister seulement dans le moment présent. Quant à envisager le futur, laissez-moi vous présenter le gentleman de cet article, Jason Brian Rosenthal.

 

Il s’agit d’un homme dont il très facile de tomber amoureuse. Cela m’a pris un jour.

 

Laissez-moi vous expliquer : le meilleur ami de mon père depuis leurs premières colonies de vacances, « Oncle » John, nous connaissait, Jason et moi, séparément, depuis toujours, mais Jason et moi ne nous étions jamais rencontrés. Je suis partie à l’université bien à l’Est et pris mon premier travail en Californie. Quand je suis revenue vivre à Chicago, John ­­— qui pensait que Jason et moi étions faits l’un pour l’autre — nous a arrangé un rendez-vous à l’aveugle.

 

Nous étions en 1989. Nous n’avions que 24 ans. Je n’avais strictement aucune attente à propos de ce rendez-vous. Mais lorsqu’il a frappé à la porte de ma maisonnette, j’ai pensé « Oh, oh… Il y a quelque chose d’extrêmement appréciable chez cette personne. »

 

À la fin du dîner, je savais qu’il était l’homme que je voulais épouser.

 

Jason ? Il l’a su un an plus tard.

 

Je ne me suis jamais rendu sur Tinder, Bumblre ou eHarmony, mais je m’en vais créer un profil général pour Jason juste ici, basé sur notre coexistence dans la même maison, pendant, genre, un peu plus de 9,490 jours.

 

Premièrement, les bases : il fait 1m75, pèse 72 kg, avec des cheveux poivre et sel et des yeux couleurs noisette.

 

La liste de ses qualités qui arrive en suivant n’a été rédigée dans aucun ordre particulier car tout chez lui me semble important, d’une façon ou d’une autre.

 

« Dieu, qu’il sait s’y prendre derrière les fourneaux »

 

C’est un homme qui a beaucoup de style. Nos fils, Justin et Miles, de jeunes adultes, lui empruntent souvent ses habits. Ceux qui le connaissent — or ceux qui lancent un regard entre son pantalon « de sortie » et ses chaussures vernies — savent bien qu’il a l’œil pour se procurer de fabuleuses chaussettes. Il est sportif et apprécie garder la forme.

 

Si notre maison pouvait parler, elle rajouterait que Jason est incroyablement pratique. Quant à la nourriture ­— Dieu, qu’il sait s’y prendre derrière les fourneaux. Après une longue journée, il n’existe pas de joie plus douce que de le voir passer la porte d’entrée, poser un sac de courses sur le plan de travail, et m’impressionner avec des olives et du fromage le temps qu’il nous prépare le repas du dîner.

 

Jason adore écouter de la musique en live, c’est la chose que nous préférons faire ensemble. Je devrais aussi ajouter que notre fille de 19 ans, Paris, préférerait se rendre à un concert avec lui plutôt que n’importe qui d’autres.

 

Lorsque je travaillais sur mon premier mémoire, je ne cessais de surligner des sections sur lesquelles mon éditrice voulait que je m’épanche. Elle disait : « J’aimerais que nous lisions plus de choses à propos de ce personnage. »

 

Bien sûr, je donnais mon accord — il était en effet un personnage captivant. Mais c’était drôle car au final, elle aurait juste pu dire : « Jason. Il nous faut plus de Jason. »

 

Il est un père absolument merveilleux. Demande à n’importe qui. Vous voyez cet homme dans le coin ? Allez-y et demandez-lui, il vous le dira. Jason est compatissant — et il sait retourner un pancake.

 

Jason peint. J’adore ses peintures. Je pourrais le traiter d’artiste si ce n’était pas pour son diplôme de droit, qui le garde bloqué à son bureau de 9h à 17h la plupart du temps. Enfin, jusqu’à ce que je tombe malade.

 

« J’imagine que vous en savez assez à propos de lui à présent. Donc je vous laisse swiper à droite. »

 

Si vous êtes à la recherche d’un partenaire de rêve, d’un compagnon de voyage parfait, d’un homme toujours prêt à partir à l’aventure, Jason est fait pour vous. Il a aussi une affinité certaine pour les tout petits objets : les petites cuillères, les petits vases, une mini-sculpture d’un couple assis sur un banc, qu’il m’a présenté comme un souvenir du commencement de la famille que nous étions sur le point de créer.

 

Voilà le genre d’homme qu’est Jason : Lors de ma toute première grossesse, il s’est présenté à la première échographie avec un bouquet de fleurs. C’est un homme qui, parce qu’il se lève toujours très tôt, me surprend tous les dimanches matin avec un petit-déjeuner au lit, en confectionnant des smileys farfelus construits à partir d’une cuillère, d’un mug, d’une banane.

 

C’est le genre d’homme qui émerge de minimart (un supermarché américain, ndlr) ou d’une station-service en disant : « Donne-moi ta main ». Et voilà, une boule de chewing-gum apparait. (Il sait que j’en aime toutes les saveurs sauf les blanches.)

 

J’imagine que vous en savez assez à propos de lui à présent. Donc je vous laisse swiper à droite.

 

« Je veux plus de temps avec Jason. Je veux plus de temps avec mes enfants. Je veux plus de temps pour boire des martinis au « Green Mill Jazz Club » les jeudis soir. »

 

Attendez. Ai-je mentionné qu’il est incroyablement beau ? Pouvoir regarder son visage va tellement me manquer.

 

S’il a l’air d’être un prince et que notre relation ressemble à un conte de fées, vous n’en êtes pas loin, excepté peut-être les choses habituelles de la vie provenant de deux décennies et demie de vie commune. Et la partie où j’attrape le cancer. Berk.

 

Dans mon mémoire le plus récent (écrit entièrement avant le diagnostic de mon cancer), j’ai invité mes lecteurs à m’envoyer des suggestions afin de se faire les mêmes tatouages, l’idée étant que l’auteur et le lecteur soit relié par l’encre.

 

J’étais totalement sérieuse vis-à-vis de ce projet et encouragé les participants à le prendre sérieux également. Des centaines de réponses me sont parvenues. Quelques semaines après la parution de mon livre an août, j’ai reçu un mot de la part d’une libraire de 62 ans provenant du Milwaukee (Wisconsin) appelée Paulette.

 

Elle a proposé le mot « plus ». Sa proposition se référant à un moment du livre où je relatais que « plus » avait été le premier mot que j’avais su prononcer (c’est la vérité). Et maintenant, il pourrait très bien être le dernier (le temps le dira).

 

En Septembre, Paulette a fait le voyage jusqu’à Chicago afin de venir me rencontrer dans le salon de tatouage. Elle se l’est fait (son tout premier tatouage) sur le poignet gauche. Je me suis fait le mien sur l’intérieur de mon avant-bras gauche, avec l’écriture de ma fille. Il s’agissait de mon second tatouage, le premier était une petite lettre, en minuscule, « j », tatouée sur ma cheville depuis 25 ans. Vous pouvez probablement deviner ce qu’elle signifie. Jason en a un aussi, mais avec plus de lettres : « AKR ».

 

Je veux plus de temps avec Jason. Je veux plus de temps avec mes enfants. Je veux plus de temps pour boire des martinis au « Green Mill Jazz Club » les jeudis soirs. Mais c’est impossible. Il ne me reste probablement que quelques jours à être une personne sur cette planète. Alors pourquoi est-ce que j’écris tout cela ?

 

J’arrive à terme de ces mots en ce jour de Saint Valentin, et le plus sincère des cadeaux que je puisse espérer c’est que la bonne personne lise tout cela, trouve Jason, afin qu’une nouvelle histoire d’amour puisse débuter.

 

Je laisse tout cet espace ci-dessous afin en symbole du nouveau départ que vous méritez tous les deux.

 

 

 

 

 

Avec tout mon amour,

 

Amy. »

Source : www.nytimes.com
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Au sujet de l'auteur : Céline Gautier

Journaliste