Les « boîtes à bébé », un concept controversé pour permettre l'abandon d'enfants, de manière sécurisée et protégée

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SEOUL : Des trappes dans les murs, avec un petit compartiment pour y déposer son bébé. En Corée du Sud, depuis 2010, ils seraient plus d'un millier à avoir abandonné leur enfant dans cette « boîte à bébés ».

Si un tel équipement peut paraître choquant à première vue, il part pourtant d'une intention louable : permettre de déposer le petit être dans un endroit sécurisé et protégé, où il pourra être récupéré rapidement et sans risque. Un système qui a également commencé à se développer dans d'autres pays du monde...et notamment en Europe.

« Avant, les gens laissaient leurs bébés sur le pas de la porte ou sur le mur. J'ai pensé qu'un jour, quelque chose pourrait mal tourner. » Grâce au pasteur Lee Jong-Rak, près d'une vingtaine de bébés sont recueillis chaque mois à l'église de Jusarang. Dans ce quartier populaire du sud de Séoul, de nombreux enfants finissent dans la rue. Alors, Lee Jong-Rak a eu l'idée d'inventer un dispositif permettant aux mères de confier leur enfant à l'adoption, de manière sécurisée, tout en préservant leur anonymat.  

Concrètement, il s'agit d'une niche rectangulaire, à température contrôlée et garnie d'un petit couffin, aménagée dans le mur d'une maison reconvertie en refuge pour bébés abandonnés. Il suffit ensuite d'appuyer sur un bouton pour alerter les assistantes maternelles, qui viendront directement recueillir l'enfant à l'intérieur même du bâtiment. Des feuilles et des stylos sont également à disposition pour inscrire un nom de famille, une date de naissance, un contact, les éventuels vaccins effectués, un petit mot... ou rien du tout.

Depuis la fin de la Guerre de Corée (1950-1953), le pays est devenu un important vivier d'enfants à adopter pour les parents étrangers. Selon l'association Racines Coréennes, en 40 ans,  plus de 180 000 enfants coréens ont été placés à l'adoption... dont 130 000 chez des parents étrangers, la plupart résidant aux États-Unis ou en Europe. Au début, la pauvreté et les ravages de la guerre étaient les principales raisons des abandons d'enfants, mais au fur et à mesure que le pays s'est reconstruit, au point de se hisser au rang de quatrième économie du continent asiatique, les orphelinats n'ont pas désempli pour autant.

En cause : l'absence de politique sociale, le cas des filles-mères, mais aussi le rejet de l'enfant « illégitime », et le statut attribué aux enfants des premiers mariages dans les familles recomposées. Certains parents issus des couches les plus défavorisées de la société espèrent aussi offrir une vie meilleure à leurs enfants, en sachant que les Coréens n'ont pas trop l'habitude de se tourner vers l'adoption, et qu'il y a donc de fortes chances pour que le bébé soit pris par une famille étrangère. Depuis quelque temps, des changements législatifs ont été adoptés, visant à améliorer les conditions et les droits des enfants orphelins... Ce qui aurait eu pour corollaire une hausse des abandons et des placements dans des établissements spécialisés.

En garantissant l'anonymat, le dispositif controversé mis en place par l'église de Jusarang permet que l'abandon se fasse dans les meilleures conditions de sécurité et d'hygiène possible, puisque le dépôt d'un bébé déclenche une alarme qui alerte des assistantes maternelles. En moyenne, quatre bébés y arrivent chaque semaine, certains ayant encore leur cordon ombilical. « Certaines adolescentes accouchent dans des maisons vides ou des toilettes publiques. Elles emmaillotent leur bébé dans une vieille chemise ou une serviette et nous l'apportent », raconte le pasteur Lee Jong-Rak à l'Agence France Presse. Un jour, un bébé est arrivé couvert de poussière. Son père avait prévu de l'enterrer vivant, se souvient-il : « À la première pelletée, la mère n'a pas supporté et a sauvé le bébé. »

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Les Sud-Coréennes qui ne souhaitent pas garder leur bébé peuvent le confier à des agences d'adoption auxquelles elles laissent aussi un consentement écrit. Il n'y a pas si longtemps, ces agences n'étaient pas regardantes sur la véracité des informations données. Mais en 2012, une loi a été votée interdisant strictement à ces agences d'accepter des bébés ne disposant pas de tous les papiers nécessaires et exigeant que les adoptions soient sanctionnées par la justice. Le but de cette loi était de permettre aux enfants adoptés de pouvoir, un jour, avoir les moyens de retrouver leurs parents biologiques, en conformité avec la convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants, que la Corée du Sud espère ratifier d'ici la fin de l'année.

Mais si celles qui abandonnent leur enfant veillent à leur anonymat, c'est aussi parce qu'avant d'embaucher, les employeurs vérifient les antécédents familiaux. Le problème concerne en grande majorité les mères célibataires pauvres : élever son enfant seule en Corée du Sud est encore bien trop souvent un facteur d'exclusion. Or, lorsque l'on se rend dans un centre d'adoption spécialisé, les registres officiels gardent une trace d'une éventuelle renonciation à un enfant.

La « boîte à bébés » mise en place par le pasteur Lee opère quant à elle dans un vide juridique. Les autorités ne peuvent l'approuver, mais elles ne la condamnent pas non plus, car, comme le reconnaît Kim Hye-ji, une responsable du ministère des Affaires sociales, la boîte permet objectivement de sauver des bébés. Les autorités du district de Gwanak ont plusieurs fois demandé au pasteur de fermer cet « établissement illégal qui encourage les abandons », selon le responsable local Min Seo-young.

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Il n'y a pas qu'en Corée qu'on trouve des « boîtes à bébés» : des dispositifs semblables commencent également à faire leur apparition en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Pologne, en République Tchèque ou encore en Belgique...

En fait, l'idée de dédier un espace spécialisé pour déposer les enfants abandonnés existe depuis bien longtemps dans le vieux continent : ces installations, nommées « tours d'abandon », étaient déjà courantes au Moyen-Âge près des hôpitaux ou des hospices, y compris en France, mais ont commencé à disparaître depuis le début du vingtième siècle. C'est récemment, avec des espaces chauffés et modernes, que l'idée a été remise au goût du jour dans certains pays.

Une ancienne « tour à bébé » d'une église / Wikimedia Commons


En Europe comme en Corée, les « boîtes à bébé » ne font pas toujours l'unanimité. Certains affirment que ce système incite les parents à se débarrasser de leurs enfants, d'autres critiquent une « déresponsabilisation » des parents, ces derniers pouvant opérer dans l'anonymat... D'autres encore avancent que ce même anonymat va à l'encontre du droit de ces enfants à connaître leurs parents. C'est la conclusion d'un comité d'experts des Nations Unies, qui s'inquiétaient il y a quelques années de la violation d'une clause importante de la Convention des Droits de l'Enfant de l'ONU, stipulant que tout enfant devrait disposer du droit de connaître l'identité de ses géniteurs. La sécurité ou le droit de savoir... un droit contre un autre, finalement.

Tout comme au Pays du Matin Calme, l'argument des « pro-boîtes à bébé » est que les personnes voulant abandonner un enfant en restant anonymes risquent de le faire de toute façon, mais d'une manière beaucoup plus dangereuse pour la santé de l'enfant. Dans ces locaux chauffés, propres et sécurisés, les bébés peuvent au moins être récupérés sans danger pour leur santé.

Source : AFP

Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste