La France possède aujourd'hui deux fois plus de forêts qu'il y a cent ans, mais est-ce vraiment une si bonne nouvelle que cela ?

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La France métropolitaine compte 16,3 millions d'hectares de forêts, répartis sur tout son territoire, si l'on en croit les derniers chiffres de l'inventaire forestier national. Cela correspond à quasiment 30% de son territoire ! À elle seule, la France abrite 10% de toutes les forêts d'Europe, elle a une des meilleures biodiversités, et en termes de quantité, elle est le quatrième pays le plus boisé après la Suède, la Finlande et l'Espagne. 

Et ce chiffre plutôt flatteur va en s'améliorant, si l'on en croit les propos de Jean-Daniel Bontemps, tenus ce dimanche 4 juin au micro de France Inter, lors de l'émission Les Savanturiers, animée par Fabienne Chauvière. Directeur à l'Institut national de l’information géographique et forestière, l'expert des forêts livre un constat étonnant, à contre-courant de ce que l'on pourrait imaginer :  en à peine plus d’un siècle,de 1912 à 2016, les surfaces couvertes de forêts ont doublé, passant de 8 millions à 16,5 millions d’hectares !

« La forêt française s’agrandit, et depuis longtemps (…) Ça concerne toute l’Europe qui est, de ce point de vue, un continent singulier : c’est le seul espace mondial où la forêt s’accroît à la fois en surface et en stock, » explique ainsi l'expert.

Crédit photo : Forêt de Paimpont, en Bretagne / Shutterstock

Cette intervention est particulièrement intéressante, parce qu'elle va complètement à l'encontre d'une idée reçue bien ancrée. La logique voudrait en effet que, déforestation et industrialisation obligent, la nature perdrait de plus en plus ses droits au profit des activités humaines.

Or, et aussi surprenant et contre intuitif que cela puisse nous paraître, c'est exactement l'inverse qui se produit, en ce qui concerne la France en tout cas ! Et oui, et aucun autre pays européen n'accuse une croissance aussi spectaculaire que celle de l'Hexagone. Les forêts y sont en pleine expansion, et depuis 100 ans le nombre de surfaces boisées a carrément doublé ! Et ce n'est pas le seul pays dans ce cas: en soi, cet état de fait concerne toute l'Europe, ce qui fait de ce continent une exception, puisque les forêts régressent dans toutes les autres parties du monde. 

La bonne nouvelle a donc rapidement été reprise et partagée sur internet. Mais, au fait, que veulent dire exactement ces chiffres ? À quoi cet accroissement de la forêt est-il dû, au juste ? Et surtout, ce reboisement est-il vraiment une aussi bonne nouvelle que cela ?

En soi, le chiffre peut prêter à confusion : de quel type de forêt parle-t-on ? Qu'est-ce qu'on considère comme un espace boisé ? Est-ce que ce chiffre prend en compte la diversité des essences ? Par exemple, est-ce qu'on compte dans ce chiffre les pinèdes plantées par l'industrie forestière à des fins d'exploitation ? Il est vrai que ces monocultures de résineux à croissance rapide, plantés en rangs alignés en vue de produire du bois ou de la cellulose, sont à des années-lumière de la biodiversité des forêts naturelles : quasiment rien n'y pousse, excepté les arbres cultivés par l'homme, et presque aucun animal n'y vit.

On a donc tôt fait de faire le rapprochement, pour expliquer de manière logique cette tendance étonnante : si un pays industrialisé et ancré dans la mondialisation comme la France se reboise de plus en plus, c'est sûrement à cause des plantations industrielles d'arbres ! Et bien en fait... non.

Il s'agit là aussi d'une nouvelle idée reçue, explique Jean-Daniel Bontemps : sur un siècle, l'accroissement industriel des résineux ne représente qu'un peu moins de  2 millions d'hectares, ce qui n'est en rien comparable avec la forte expansion des feuillus enregistrée !

Crédit photo : La forêt des Landes, pins maritimes / Shutterstock

L'augmentation du nombre d'arbres ne date d'ailleurs pas d'hier, et c'est même très loin d'être un scoop, malgré le fait que l'on en entende trop peu parler : nos «ancêtres» les Gaulois, peuple très agricole, exploitaient déjà massivement la forêt, malgré l'image d'Épinal que l'on peut avoir de la « gaule chevelue» . La France aurait connu son minimum forestier à l'époque de la Révolution, il y a  230 ans ! Au début du 19eme siècle, la forêt ne constitue plus que 16% du territoire national.

En fait, c'est sous Napoléon III qu'une première impulsion d'envergure en faveur du développement forestier a été donnée : c'est ainsi que dans le Sud-Ouest, de vastes pinèdes ont été plantées dans les Landes (pour assécher les marais et fixer les dunes de sable). C'est également Napoléon III qui a reboisé les forêts de Sologne, et lancé un plan de préservation des massifs montagneux des Alpes et des Pyrénées.

Une expansion spontanée sur les anciens territoires agricoles

En réalité, si la forêt reprend ses droits, c'est parce qu'elle a de plus en plus de place. Si, il y a quelques centaines d'années, le pourcentage de forêts était au plus bas en France, c'est parce que la population vivait massivement de l'agriculture, et que le gain de terres arables se faisait au détriment des surfaces boisées. L'exode rural aidant, les hommes se sont concentrés de plus en plus dans les villes, abandonnant le modèle rural et les campagnes. C'est donc le déclin de l'agriculture qui peut être tenu en partie responsable de cette expansion forestière.

C'est une évidence, on coupe beaucoup moins d'arbres aujourd'hui en France qu'à d'autres époques, comme au Moyen-Âge par exemple : ainsi, on construit beaucoup moins de choses en bois qu'avant : la plupart des édifices sont construits avec des matériaux plus avantageux et résistants, tels que le béton et le métal... de même, on ne se chauffe plus autant au bois qu'avant.

Alors, la révolution industrielle aurait-elle sauvé les arbres ? Ce n'est pas aussi simple que cela, bien sûr : si l'agriculture française accuse un certain déclin, la population va en s'accroissant, et elle a toujours autant besoin de se nourrir qu'avant. Les ressources sont tout simplement exploitées ailleurs, dans des pays moins industrialisés qui concentrent aujourd'hui une bonne partie de la production agricole. Ainsi, on considère que, toutes les 4 secondes, l’équivalent d’un terrain de football disparaît en Amazonie.

Nul besoin de se réjouir trop vite, donc : aussi impressionnante qu'elle soit, la reforestation de la France est sans commune mesure avec la déforestation qui touche d'autres zones de notre planète, de façon alarmante.

Des forêts peu, ou mal contrôlées

Autre raison qui pousse à dire que le fait que l'accroissement de la forêt française n'est pas forcément une bonne nouvelle, c'est que comme elle résulte principalement de l'abandon de terres agricoles, elle se fait principalement au bénéfice des propriétaires privés, actuellement plus de 3 millions dans l'Hexagone, plutôt que des forêts du domaine public.

Et le problème de ces domaines privés, c'est que l’expansion n'y est pas toujours contrôlée. Cette nouvelle forêt n'est donc pas toujours bien valorisée, ce qui, selon Jean-Daniel Bontemps, représente un gâchis immense de ressource. 

Mais pourquoi veut-on absolument «gérer» les forêts ? Ne ferait-on pas mieux de laisser les arbres tranquilles et la nature se développer comme elle l'entend ? En fait, contrairement à ce que l'on pourrait croire, explique notre expert des forêts, l'intervention humaine (lorsqu'elle est contrôlée et qu'elle a pour objectif le bien-être de la forêt, évidemment) permet une meilleure biodiversité. Il existe peu, aujourd'hui, d'endroits réellement intouchés par l'homme... cependant, ces espaces ne sont pas forcément plus riches, au contraire !

Dans la nature, certaines espèces finissent invariablement par prendre le pas sur les autres, c'est par exemple le cas des chênes en France. D'autres espèces sont dites pionnières, ce sont les premières espèces à apparaître sur un terrain en friche, grâce à leur croissance rapide, comme les herbes et les ronces. Ces plantes pionnières apparaissent lorsqu'un événement fait un «trou» dans la forêt, comme par exemple la chute d'un gros arbre mort, qui crée une clairière. Puis, les espèces pionnières sont remplacées par des espèces dites intermédiaires, jusqu'à ce qu'au final, l'espèce dominante (nos chênes) revienne boucher le trou ! Ce cycle est aidé et favorisé par les gardes forestiers, qui, comme de véritables docteurs de la forêt, abattent les arbres malades afin de laisser la place aux autres espèces et permettre une meilleure régénération.

Si le contrôle et la gestion des forêts sont des actions cruciales pour s'assurer de leur bonne santé, c'est aussi parce que cela permet d'« aérer » les écosystèmes. Lorsque la densité des arbres est trop élevée, les forêts s'exposent de manière importante aux risques de tempêtes et d'incendies. C'est notamment le cas, dans le sud de la France tout particulièrement.

L'accroissement des forêts françaises depuis le siècle dernier est donc, en soi, une bonne nouvelle... mais il convient aussi de tempérer cette information. Surtout, il ne faut pas considérer cela comme une preuve qu'il ne nous reste plus qu'à nous mettre nos doigts de pied en éventail, car il reste encore du pain sur la planche. Pour transformer ces chiffres encourageants en un réel atout au niveau de la biodiversité, il faut donc impérativement exploiter la forêt afin de la gérer, de la valoriser, et de la revitaliser. Le problème, c'est que comme les trois quarts des forêts appartiennent à des propriétaires privés, ces dernières sont parfois laissées à l'abandon et ne sont pas mises en valeur comme elles le mériteraient.

Et bien sûr, ne pas oublier que, si ici les arbres semblent regagner du terrain, d'autres régions du globe sont en train de se déboiser à vitesse décuplée...


Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste