Menacés d'expropriation, des paysans indiens décident de s'enterrer

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C'est une bien étrange guerre des tranchées qui vient de s'achever en Inde, près du village de Nindar, dans le Rajahstan. Menacés d'expropriation à cause du projet d’extension de la ville voisine de Jaipur (aujourd'hui déjà peuplée de 3 millions d’habitants), des paysans ont eu une idée originale pour défendre leurs terres.

Originale, et efficace : bien décidés à occuper l'espace, à ne pas bouger quitte à prendre racine, ils ont décidé de tout simplement... s'enterrer sur place !

Un geste de protestation pacifique et surtout très impressionnant, qui a mobilisé plus de 1 300 personnes depuis le début du mois d'octobre dernier. Finalement, après plus d'un mois de lutte acharnée, le groupe de petits agriculteurs a réussi à remporter sa première bataille contre les autorités locales. 

Lutte paysanne et spiritualité " ghandienne "

Dans le cadre du programme d'expansion de la ville Jaipur, les pelleteuses des promoteurs menacent aujourd'hui le village de Nindar. Le Jaipur Development authority, en charge du projet, veut s'emparer des 210 hectares de terres appartenant à des fermiers locaux, en les expropriant. Plus de 2 500 familles, pour la plupart vivant de l'élevage de bétail ou du maraîchage, seraient concernées par cette expropriation massive, qui leur enlèverait ce qui est, pour beaucoup, leur bien le plus précieux.

C'est pourquoi une résistance paysanne s'est organisée, dans ce pays à l'histoire déjà riche en matière de lutte pour la Réforme Agraire et pour la démocratisation de l'accès à la terre.

Après des premières manifestations qui n'ont eu qu'un faible retentissement, les agriculteurs ont finalement décidé d'appliquer le satyagraha : la forme de lutte non-violente instaurée par Gandhi, qui prône la patience, la désobéissance civile pacifique et l'application de la souffrance sur soi-même plutôt que sur l'adversaire, dans une forme de recherche intérieure.

Ce zameen samadhi satyagraha ( traduisez le satyagraha par « l'enterrement dans le sol ») a une valeur hautement symbolique. En s'enfouissant ainsi jusqu'au cou, sans manger, dans la terre qui les nourrit, ils marquent aussi la profondeur de leur attachement à ce bien. En faisant corps avec cette terre, ils ne font pas qu'occuper symboliquement l'espace en montrant leur refus de bouger : ils témoignent aussi de leur appartenance charnelle à ce sol nourricier.

Un geste puissant, qui n'a pas manqué d'attirer l'attention dans le pays entier, ainsi qu'à l'international.

Sous la pression, le Jaipur Development authority a déclaré vouloir s'asseoir à nouveau sur la table des négociations afin de trouver un compromis. Une première victoire très encourageante pour les paysans de Nindar... mais qui est encore loin de signer la fin de leurs revendications.

Concrètement, le Jaipur Development authority souhaite user d'une procédure d'expropriation pour « cause d'intérêt public », dans le cadre de laquelle elle doit offrir des compensations financières aux agriculteurs en échange de leurs terres. Or, les compensations proposées aux paysans étaient « très faibles, définies selon des prix datant de 2010 », dénonce Nagendra Singh Shekhawat, soutien des fermiers de Nindar, dans une tribune publiée sur le site de Observateurs de France 24.

« Pour les agriculteurs, cette consultation a été mal faite et la majorité des familles qui avaient donné leur accord ont dit avoir reçu des pressions. Beaucoup de ces familles font aujourd’hui partie du mouvement de protestation. »

À présent, le mouvement réclame une nouvelle consultation, et surtout, l'application de la nouvelle loi sur l'acquisition des terres, votée en 2013. Cette législation fait elle-même suite à un long combat, vieux de 200 ans, pour les droits terriens en Inde.

Remplaçant une ancienne loi imposée sous l'occupation britannique, ce texte régule fortement les acquisitions de terres. Il s'assure que, lorsque l'acquisition de terre est vraiment nécessaire, les populations qui doivent être déplacées le sont de manière équitable, qu'elles sont dignement dédommagés et surtout qu'elles seront relogées à proximité, dans la mesure du possible.

En attendant une résolution satisfaisante du conflit, la lutte pour la terre poursuit son cours en Inde.


Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste

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