Les violences policières sur les migrants à Calais dénoncées dans un rapport accablant de l'ONG Human Rights Watch

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Hier, mercredi 26 juillet, Cédric Herrou a été placé sous contrôle judiciaire pour avoir aidé et hébergé chez lui des réfugiés et des demandeurs d'asile. Alors que la pression à l'encontre des particuliers et des associations qui essayent de venir en aide aux réfugiés semble se faire de plus en plus forte, d'inquiétants témoignages recueillis par Human Rights Watch (HRW) parachèvent de dresser un tableau bien sombre de la manière dont la France accueille les exilés sur son sol.

Dans un rapport de 47 pages, l'ONG internationale dénonce «l'enfer » vécu par les réfugiés à Calais. Au programme : violences policières, abus de pouvoir et pratiques plus que douteuses à l'encontre des migrants, mais aussi des associations humanitaires, sur fond d'une politique migratoire qui se durcit de plus en plus. Ambiance.

«Chaque jour, la police nous poursuit. Ils utilisent leurs sprays. Ils nous donnent des coups de pied. C'est ça notre vie, tous les jours», raconte Waysira, un adolescent éthiopien, dans le rapport publié mercredi par l'ONG humanitaire Human Rights Watch. Sur une cinquantaine de pages, de nombreux témoignages dénoncent l'usage routinier et systématique du gaz poivre employé par les forces de l'ordre contre les migrants à Calais. 

HRW a en effet constaté que les policiers à Calais font « un usage courant de gaz poivre sur des migrants, enfants et adultes, alors qu’ils sont endormis, ou dans d’autres situations où ils ne présentent aucune menace » . L'usage de ce gaz s'est tellement répandu qu'il est devenu banal, faisant partie du quotidien des migrants, qui ont parfois du mal à chiffrer le nombre de fois où ils en ont été victimes. Sur 61 migrants interrogés par l'organisation entre fin juin et début juillet, 55 avaient été aspergés au cours des deux semaines précédant l'entretien, et certains assuraient l'avoir été tous les jours, affirme l'auteur du rapport, Michael Garcia Bochenek, interrogé par l’AFP.

Le gaz poivre, souligne le rapport, est une arme chimique non-létale, contenant de la capsaïcine, qui cause «une cécité temporaire, de fortes douleurs oculaires et des difficultés respiratoires, qui durent en général de 30 à 40 minutes». À fortes doses, il peut également causer des œdèmes pulmonaires, des hémorragies des glandes surrénales, voire dégénérer en nécrose des tissus respiratoires.

Eau et nourriture gazés ou confisqués, tabassages en règle, agressions gratuites et violence de routine

Le rapport décrit des agressions qui peuvent avoir lieu à toute heure du jour ou de la nuit, y compris pendant leur sommeil. Une persécution quotidienne qui oblige les migrants à se déplacer sans cesse, et qui semble méthodiquement mise en place dans le but de les épuiser. HRW note également que les forces de l'ordre ont pris l'habitude d'asperger de ce gaz ou de confisquer des sacs de couchage, des couvertures et des vêtements, et que parfois, ils pulvérisent du gaz sur la nourriture et l’eau des migrants. Des accusations formellement démenties par les autorités, qui continuent à nier en bloc malgré les nombreux témoignages détaillés recueillis par HRW.

La France, terre d'accueil, d'hospitalité, pays des droits de l'Homme et des défenseurs de la liberté ? Moti, 17 ans, raconte comment les forces de l'ordre les ont attaqués, lui et son groupe, à coup de gaz lacrymogène, alors qu'ils dormaient, pour les déloger. « Les policiers sont arrivés. Ils nous ont aspergés le visage, les cheveux, les yeux, les vêtements, le sac de couchage, la nourriture. Il y avait beaucoup de gens endormis. La police a tout recouvert de gaz poivre. » 

L'ONG internationale Human Rights Watch avait déjà constaté des violations des droits humains en 2014 à Calais. Début juillet, elle a pu recueillir la parole d’une soixantaine d’exilés sur les violences policières, des témoignages «concordants, cohérents et détaillés ».  Un « dossier à charge», s'indigne de son côté David Michaux, secrétaire national du syndicat UNSA Police. De son côté, la préfecture balaie les témoignages recueillis par Human Rights Watch du revers de la manche : ce ne sont que « des calomnies », des  «affirmations mensongères » qui « ne reposent sur aucun fondement vérifié ».

«On est dans des pratiques qui s'inscrivent dans la routine, sans qu'il y ait de sanctions, alors que ce sont des abus graves», contraires au code de déontologie policière et aux traités internationaux relatifs aux droits de l'Homme, dénonce à l'AFP Bénédicte Jeannerod, la directrice de HRW-France.

«Je boite depuis trois jours à cause de la police. Ils m’ont aspergé de gaz lacrymogène dans le visage, ils m’ont frappé sur tout le corps et sur les genoux, et ils sont partis», raconte Youssef, un jeune Erythréen, à Libération. « Ils étaient trois ou quatre. Ils riaient en frappant. Je n’ai pas résisté, j’ai mis les bras en l’air, ça n’a rien changé. » Curieusement, les mots du jeune homme de 22 ans ont des accents qui nous rappellent à des heures peu reluisantes de notre histoire...

Quand la police harcèle les travailleurs humanitaires 

Human Rights Watch a tenté d'alerter les autorités compétentes en faisant remonter de multiples témoignages portant sur les abus policiers envers les demandeurs d’asile... des témoignages qui ont pour l'instant été ignorés par ces mêmes autorités.

Le rapport signale notamment des agissements visant à perturber délibérément l’aide humanitaire et à harceler les personnes qui la délivrent – autant de comportements qui s’expliquent apparemment, au moins en partie, par une volonté de limiter le nombre de migrants présents dans la région.

Selon Human Rights Watch : « Les travailleurs humanitaires témoignent aussi que les policiers les soumettent régulièrement à des contrôles de papiers – parfois à deux reprises ou davantage, en quelques heures seulement. Les contrôles d’identité sont légaux en France, mais ils peuvent ouvrir la porte à des abus policiers. À Calais, les contrôles d’identité des travailleurs humanitaires retardent souvent les distributions d’aide humanitaire. Ils empêchent aussi les travailleurs humanitaires d’observer comment les policiers traitent les migrants lorsqu’ils dispersent tout le monde après les distributions. »

Plus grave encore, les policiers empêcheraient la délivrance d'assistance humanitaire, en employant la force contre des bénévoles : Le rapport, qui pointe également l'usage de gaz poivre contre des humanitaires, dénonce un harcèlement de ces derniers via des contrôles d'identités répétitifs. «Des policiers confisquent ou détruisent la nourriture, l'eau et les couvertures, mais ils empêchent aussi régulièrement la délivrance d'une assistance humanitaire, et ce apparemment sans aucun motif légal»

Lorsque des bénévoles ont voulu filmer certaines scènes, poursuit le rapport, des agents des forces de l'ordre auraient abusé de leur position pour censurer et effacer les documents vidéo, un acte illégal au regard de la loi :  « Des travailleurs humanitaires ont entrepris de photographier ou de filmer ces actions policières, comme la loi française les y autorise. En réaction, disent-ils, les policiers ont parfois saisi temporairement leurs téléphones, en effaçant ou en consultant le contenu sans permission. »

« Délit de solidarité » : la criminalisation de l'entraide et de l'empathie

Hasard du calendrier, au même moment qu'Human Rights Watch publiait son rapport-choc, l'oliviculteur Cédric Herrou, de la vallée de la Roya (Alpes Maritimes), a été arrêté et mis en examen hier, mercredi 26 juillet. 

Connu pour son engagement en faveur de la défense des migrants, il est désormais placé sous contrôle judiciaire et risque jusqu'à cinq ans de prison et 30 000 euros d'amende. Son crime : avoir voulu aider et héberger chez lui des réfugiés et des demandeurs d'asile. 

Cédric Herrou / Photo Jean-François Ottonello

L'agriculteur a été pris en début de semaine par la police en gare de Cannes, avec une centaine de migrants qu'il accompagnait, dans le but de les guider dans leurs démarches de demande d'asile. Tandis qu'il était mis en garde à vue, les réfugiés ont été expulsés vers l'Italie.

Et le pire, c'est que certains applaudissent,  battant des mains de voir le méchant « passeur » enfin arrêté. Il est vrai que le chef d'inculpation, « aide à l’entrée et à la circulation d’étrangers en situation irrégulière », peut faire penser à l'un de ces marchands de visas ou de sommeil, qu soutirent des sommes mirobolantes en exploitant la misère humaine.

Pourtant, et contrairement à ce que certains médias d'extrême-droite tentent de faire croire, l'homme ne tire aucun argent de son action. Il explique au contraire agir par conviction, par esprit d'hospitalité et par volonté d'aider ceux qui n'ont plus rien chez eux. Il a ainsi transformé sa ferme en une zone de refuge pour les migrants 

Non, être humain n'est pas un crime

Comme Cédric Herrou, une dizaine de citoyens solidaires continuent d’être poursuivis pour avoir simplement voulu aider des exilés. Un harcèlement judiciaire qui s’inscrit dans une politique délibérée de mauvais accueil, dans le but de dissuader les migrants de venir en France. 

Pour protester, le groupe "Délinquants solidairesa publié un manifeste, appelant à la désobéissante civile et au refus d'arrêter les actions d'aide et de solidarité, même face à la criminalisation constante et aux pressions judiciaires . " Si la solidarité avec les étrangers est un délit, alors nous sommes tous délinquants ", revendique le collectif.

Mardi dernier, 275 associations et collectifs de solidarité ont lancé l’organisation d’une Conférence nationale citoyenne sur l’accueil et les droits des personnes migrantes en France. Tous ensemble,ils espèrent tirer la sonettes d'alarme, et rappeler le gouvernement Français à ses responsabilités... et à ses promesses.


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Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste