12 jours de grève : Où en est le bras de fer entre le ministère de la justice et le personnel pénitentiaire ?

Bouton whatsapp

Depuis douze jours, le personnel pénitentiaire fait grève en France. Violences, manque de moyens pour faire régner l'autorité, ils peinent à se rendre au travail dans des conditions favorables à tous. Alors, douze jours après le début des contestations, où en sont les demandes du personnel pénitentiaire ?

C'est assurément la plus grande crise sociale dont Emmanuel Macron doit faire face depuis son élection. Depuis douze jours, les accès à certaines prisons sont bloqués, sur une demande des syndicats UFAP, FO CFDT. Le but ? Dénoncer les agressions dont sont quotidiennement victimes les surveillants. Une violence inhérente à la surpopulation que connaissent les prisons. Le secrétaire général de FO, Antonio Cid, avait alors déclaré à l'AFP que « nous avons une surpopulation de près de 200%, il y a trois matelas au sol dans certaines cellules individuelles, on accueille 1 000 détenus pour 620 places ».

En France, plusieurs centres pénitentiaires sont totalement bloqués. On compte parmi eux Fleury-Mérogis, le plus grand d'Europe, la maison d'arrêt de Nanterre, de Réau en Seine-et-Marne et celle de Nice. Alors qu'à Fresnes, les accès étaient bloqués, ils se sont vus libérés pour le transfert de Jawad Bendaouad, le « logeur de Daesh ». Le mardi 23 janvier, on dénombrait 122 prisons sur 188 qui étaient bloquées. Et s’ils font grève, ils se rendent toutefois sur leur lieu de travail dans le but de ne laisser personne entrer, ni sortir.

Ce qu'ils demandent

Plus de sécurité. Et pour bénéficier de plus de sécurité, ce sont beaucoup de mesures auxquelles ils aspirent. Des changements radicaux qui leur permettraient des conditions de travail plus viable. La surpopulation dans les prisons a des répercussions tant sur le personnel que sur les détenues. Cette surpopulation, où l'on entasse des prisonniers dans une cellule génère une certaine haine dont émane une violence dont les surveillants sont les victimes. Seul hic, selon eux, ils ne sont pas suffisamment armés pour se défendre et faire régner l'autorité. Et par armés, ils entendent faire accepter la mise en place d'une « violence étatique ». En ce sens, ils, d'une manière générale, ils dénoncent le fait de n'être armés uniquement de sifflets, de stylos, de talkies-walkies, pendant que certains prisonniers sont à même de se procurer des « armes ». En plus, pour pallier le problème de surpopulation, les quelque 28 000 grévistes demandent une augmentation du personnel ainsi qu'une revalorisation de leurs primes, histoire de ne pas se lever avec la peur au ventre pour rien. Enfin, les syndicats ont réclamé  une évolution quant aux statuts des surveillants (de la catégorie C à la catégorie B).

Ce que le gouvernement propose

La ministre de la justice, Nicole Belloubet peine à trouver un arrangement qui conviendrait à tous. Jeudi 25 janvier, elle proposait des mesures qui, aussi nombreuses soient-elles, ne semblent pas convenir aux grévistes. Concernant la sécurité des surveillants, il a été proposé un nouvel équipement, qui sera composé de gilets pare-balles, alarmes individuelles, renforcement des fouilles au sein des cellules et structures qui permettraient de passer les menottes avant même d'ouvrir la cellule du détenu.

Le manque d'effectif dénoncé sera pallié sur une période de quatre ans. En ce sens, 1 100 emplois seront créés. Concernant la revalorisation de leurs indemnités, elle sera réévaluée de manière considérable puisque l'indemnité de charge pénitentiaire passera de 400 euros à 1 400 euros, la prime du dimanche et des jours fériés passera de 26 à 36 euros et la prime de « sujétion spéciale », dont disposent tous les employés qui, lors de leur travail, sont exposés à des risques, augmentera de deux points. Concernant la demande d'évolution des statuts des agents, la ministre n'a pas donné suite aux demandes.

Refus de signer

Pour la CGT et le syndicat FO pénitentiaire, c'est clair : « l'essentiel n'y est pas » et les deux entités sont d'accord pour ne pas signer les mesures présentées par le ministère de la justice. En ce sens, la CGT pénitentiaire souhaite formuler à nouveau sa demande et parvenir à effacer le manque de « reconnaissance des missions de service public des personnels de surveillance dans leur statut ». De son côté l’UFAP-UNSA, ne s'est pas encore prononcé.

En réponse aux refus des deux syndicats, la Ministre de la justice s'est exprimée ce vendredi au micro d’Europe 1, affirmant qu'il s'agissait de « propositions très sérieuses » que le gouvernement a formulé. Et de continuer en évoquant son espoir d'une « prise de responsabilité et de conscience, et que les surveillants pénitentiaires reprendront leur travail. C’est indispensable pour la sécurité de notre société ». De son côté, Emmanuel Macron a assuré « soutenir pleinement » la garde des Sceaux et que lui-même et le Premier ministre Édouard Philippe avaient une « pleine confiance » envers sa capacité à résoudre la crise qui secoue les prisons.

Pour l'heure, ce vendredi 26 janvier, les principaux syndicats appellent à la poursuite de la mobilisation. À ce jour, 87 établissements sur les 188 sont encore concernés.

L'impact sur les détenus

Si ce bras de fer entre le gouvernement et les syndicats du personnel pénitentiaire perdure, montrant néanmoins quelques signes de faiblesse, il y a une face cachée de l'iceberg qui, en vérité, possède son lot de dommages collatéraux. Ce sont les détenu(e)s. En effet, étant donné que l'accès aux prisons est bloqué, les enseignants, les avocats et les familles par exemple, ne peuvent plus entrer en contact avec les détenu(e)s.

Et certains ne comptent pas se terrer dans le silence. En ce sens, un détenu de la maison d'arrêt de Moulin-Yzeures a saisi la justice suite au mouvement de grève. La raison ? Il raconte ne pas avoir pris de douche depuis neuf jours. Pour son avocat, c'est une situation qui ne peut durer et constitue « une atteinte fondamentale à ses conditions de détention ».

Sylvain Gauché, son avocat déplore : « Dès qu'il y a une grève dans les transports, on n'hésite pas à parler de 'prise d'otage' des usagers, et là, personne ne crie au scandale. Or, depuis neuf jours, certains détenus vivent une situation dramatique.» Avant de rajouter : « et encore, mon client n'a pas de problématique de santé particulière ».

Privés de promenade, de cantiner, cohabitation avec les ordures non collectées dans la cellule, privés de contact avec leur famille ou encore privés d'activités sportives et culturelles, les détenus doivent vivre au rythme des grévistes et subir leurs revendications, bien qu'ils ne soient, peut-être pas, la cause de leurs maux.

Pour le moment en suspend, il semble que cette crise sociale ne soit pas encore au bout de ses surprises. À suivre...

Source : Le Monde

Au sujet de l'auteur : Pauline Masotta

Journaliste