C’est un dossier pour le moins imposant et riche en informations qu’a réalisé Amaury Hauchard pour Le Monde. Réparti en une série de 4 articles, ce dossier nous éclaire sur une pratique pour le moins déconcertante au Malawi. En effet, il existe des « camps d’initiation sexuelle » pour les fillettes, celles-ci y sont envoyées par leur famille pour qu'elles y apprennent « les choses de la vie ». Voici une synthèse de ce long reportage.
Les faits reportés, parlent de plusieurs « camps d’initiation sexuelle » dans les districts de Mulanje et de Nsanje au sud du Malawi, cette pratique est d'ailleurs commune dans certains pays d’Afrique de l’Est.
Cette tradition veut que, dès lors que les jeunes filles ont leurs premières règles à l’âge de 9, 13 ans ou plus (mais aussi à des moments que la famille juge opportuns), elles doivent être envoyées là-bas par les familles pendant deux semaines : « On part à l’écart du village (85 % des habitants habitent en campagne), dans un bâtiment loin des hommes où nous sommes seules avec les organisatrices du camp. Une fois que les premiers rituels commencent, on comprend qu’on est là pour apprendre à plaire à un homme, comment lui faire plaisir sexuellement » raconte la jeune Awa.
Crédit photo : Amaury Hauchard
Esitele Paulo, qui tient l’un de ces lieux, explique le processus. Une fois au camp, elles doivent alors se déshabiller, se frotter les unes aux autres, simuler l’acte sexuel et elles apprennent à exciter les hommes. Commencent alors les longues heures pour ces filles résignées, qui ne savent pas vraiment où elles vont, ou bien elles n’ont entendu que des rumeurs. La pression familiale, la promesse de les purifier et surtout les traditions les obligent à s’y plier.
Tout ce qui a trait aux maladies sexuelles, à la procréation… lors des rapports est éludé. Ils préfèrent mettre l’accent sur les menstruations (tampons, serviettes hygiéniques) dans le but de ne pas dégoûter les hommes et l'apprentissage sur comment les satisfaire, notamment les hyènes qui servent de professeur. Laissant au second plan, voire en supprimant tout ce qui concerne la femme et le fonctionnement de son corps, privilégiant le plaisir de l'homme.
Crédit photo : Amaury Hauchard
Ces hyènes, « fisi » en langue chichewa, sont des hommes payés pour avoir des relations non consenties avec les filles. Ces jeunes hommes louent leurs services pour une somme allant de 20 000 à 25 000 kwachas (23-30€). Louis Fonté est une de ces personnes qui propose ses services aux familles : « En somme, je leur évite des problèmes ». Devenu fisi après une proposition faite par les chefs de villages, il raconte aujourd’hui des propos aberrants de notre point de vue. Il reconnaît avoir eu des relations avec une trentaine femmes dans le cadre du « kusaba fumbi » (purification sexuelle) et certaines d’entre elles sont tombées enceintes. Séropositif, il a transmis le VIH à de nombreuses filles, mineures au moment des viols… une transmission qui ne semble pas plus le préoccuper : « Ce n’est pas bien grave. Beaucoup de gens d’ici ont le virus et arrivent à s’en sortir ». Et cela, alors que 10 % de la population est porteuse du VIH.
Crédit photo : Amaury Hauchard
Le poids des traditions est lourd de conséquences, un des militants des droits humains constate qu'à Nsanje : « la pauvreté va de pair avec le poids de la tradition, les gens sont déjà heureux d’être vivants». Comme dit précédemment, les croyances relatent que les relations sexuelles avec un fisi, permettent aux jeunes filles de se purifier des fantômes et autres malheurs qui peuvent toucher leur famille lors d’un décès.
Censées devenir des femmes à la fin de cette initiation, les jeunes filles en ressortent déflorées, et changées sur le plan psychologique : « Ces camps sont un lavage de cerveau de ces filles qui deviennent femmes trop vite. Les conséquences sont désastreuses. Et après le camp, beaucoup de filles se marient et quittent l’école » s’insurge Joyce Mkandawire, de l’ONG Let’s Girls Lead.
Crédit photo : De pauvres enfants au Malawi, qui portent d'anciens et sales vêtements dans la prairie près de Lilongwe / shutterstock
Certaines des jeunes filles violées, ont été traumatisées au point de fuir leur famille ou de ne plus vouloir entendre parler des garçons… Les préoccupations majeures de ces filles concernent la peur de tomber enceinte (qui arrive dans de trop nombreux cas du fait que ces rapports ne sont ni consentis, ni protégés, l’usage du préservatif est notamment interdit) ou bien d’avoir le SIDA. Annie Minus qui a été « purifiée » à trois reprises décrit les terribles scènes : « On est enfermés avec le fisi, trois jours durant, et on est à lui, autant de fois qu’il le veut, raconte Annie, qui n’a depuis plus voulu avoir de mari ni de relation sexuelle. La seconde fois, je suis tombé enceinte du fisi. Je ne l’ai jamais dit à personne, je préfère qu’on pense que c’est un enfant de mon mari ».
Après la mort de son époux et par peur de devoir subir une nouvelle fois cette épreuve, elle a décidé de prendre la fuite malgré les menaces et les sorts qui devaient l'attendre selon les traditions... elle peut aujourd'hui constater qu'aucune des pustules ou maladies promises n’est apparue.
Crédit photo : Amaury Hauchard
En 2013, une loi a été votée pour interdire cette pratique, depuis les rites sexuels sont en forts déclins. Selon la cheffe traditionnelle de Chikumbu, Aîda Deleza, ces rites se doivent d'être abrogés par la population : « Nous sommes en retard sur le monde, s’emporte la cheffe traditionnelle de Chikumbu. Les sociétés changent, il faut que nous changions aussi ».
Pour autant, la prévention est compliquée à faire, notamment en raison de la rupture entre la campagne et la ville qu’explique Mercy Mituka de l‘ONG Girls Empowerment Network : « On va dans des villages, on essaie de parler à celles qui sont dans des zones reculées. Mais nous sommes des femmes de la ville, c’est compliqué d’arriver avec nos vérités ». Il est difficile de faire entendre à des personnes qui ont ce rite ancré dans leurs traditions, ses dangers, et d'autant plus en raison des différences de culture.
Plus récemment, en février 2017, les autorités ont élevé l’âge légal du mariage à 18 ans, mais le problème de diffusion des informations subsiste, les personnes qui se trouvent dans des zones rurales ne sont pas ou rarement au courant des textes de loi émis par le gouvernement.
Crédit photo : Amaury Hauchard
Dans les faits, la réalité ne concorde pas avec ce que le gouvernement voudrait ! Aîda se bat à son niveau pour empêcher les mariages et les rites du kusasa fumbi : « On en est à 146 mariages annulés, j’en ai encore eu encore un la semaine dernière ! Il y a quelques jours, j’ai encore rencontré une fille de 15 ans mariée. Avec les camps d’initiation sexuelle et les rites, elles se marient tôt et arrêtent l’école. Il faut mettre un terme à tout ça ». Les textes ont même été traduits dans les dialectes locaux pour permettre une meilleure compréhension des lois.
Crédit photo : Femme africaine sur la plage, lac Malawi / shutterstock
À Mulanje ou à Nsanje, même si les autorités sont attentives lorsque des hyènes sont dénoncées, celles-ci continuent d'abuser des jeunes filles sous couvert des traditions. Certaines langues commencent à se délier et dévoilent les horreurs qu’elles ont pu subir. Pourtant, il s’agit d’un véritable secret de polichinelle dans les villages. Trop peu osent en parler et dénoncer les dizaines d’hyènes qui exercent encore ces pratiques, par peur de représailles des autres habitants et d’être contraint à quitter le village.
Vous pouvez retrouver les quatre articles sur le site Le Monde : partie 1, partie 2, partie 3 et partie 4.