Le visage de cet homme ne vous dit peut-être rien... Et pourtant, ce Japonais figure parmi les plus grands héros de la Seconde Guerre Mondiale — Et l'Histoire l'a complètement oublié...

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L'histoire de la liste de Schindler est bien connue... Mais avez-vous déjà entendu parler des visas de Sugihara ?



Vous connaissez sans doute l’histoire de Oskar Schindler, qui avec sa fameuse « liste » avait sauvé plus de 1 200 juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale.  Cependant, d’autres personnes, dont les noms ont été quelque peu oubliés par l’histoire, ont également accompli des actes héroïques.

Nous vous avions déjà parlé de Sir Nicholas Winton, le Britannique qui avait sauvé 669 enfants juifs des camps de la mort (Si vous n’en avez jamais entendu parler, sachez que son histoire à lui aussi est également passionnante et mérite vraiment d’être connue).

 

Mais avez-vous entendu parler de cet humble diplomate, devenu vendeur d’ampoules électriques, qui sauva près de 10 000 juifs de l’holocauste ?

 

Wikimedia Commons

 

Il s’appelait Chiune Sugihara.

 

 

C’était l’année 1939 — L’aube de ce que l’Histoire retiendrait comme étant la Seconde Guerre Mondiale. La France et l’Angleterre avaient laissé Hitler annexer la Tchécoslovaquie, et l’armée Allemande venait juste d’envahir la Pologne. Les réfugiés juifs venus de Pologne fuyaient en masse vers les pays voisins. À ce moment-là, près d’un tiers de la population urbaine de Lituanie étaient des juifs.

 

Sugihara occupait alors le poste de vice-consul au consulat Japonais de Lituanie. Des centaines de personnes se rendaient en masse dans le bâtiment administratif, suppliant de leur accorder un visa qui leur permettrait un passage vers le Japon, pour fuir la guerre, la persécution, la capture et la mort presque certaine qui les attendait.

 

Les règles pour délivrer un visa étaient très strictes. Pour obtenir l’infiniment précieux sésame, il fallait remplir certains critères administratifs bien précis, passer par une série de procédures et surtout, posséder des fonds financiers suffisants — une condition que la plupart des réfugiés ne remplissaient pas.

 

Par trois fois, Sugihara a contacté ses supérieurs à Tokyo, afin de demander des instructions spécifiques ainsi que la permission d’accorder ces visas. Par trois fois, sa hiérarchie refusa, prétextant que quiconque voudrait entrer dans le territoire Japonais devrait obligatoirement disposer d’un visa de sortie vers une autre destination — sans aucune exception à la règle. De plus, l’ambassade du Japon en Lituanie avait reçu l’ordre de fermer ses portes…

 

 

Alors, Sugihara a fait ce qui devait être fait : il a désobéi.

 

 

Il s’est mis a délivrer des visas en masse, de manière parfaitement illégale — un acte d’insubordination rare au Japon à cette époque, surtout étant donné sa position hiérarchique inférieure et les risques qu’il encourait en faisant cela.

 

Il faut dire que s’il avait suivi les instructions, les chances pour ces personnes d’obtenir le visa qui leur permettrait de survivre étaient très faibles, pour ne pas dire quasiment inexistantes. Sugihara était bien conscient du sort qui attendrait les juifs contraints de rester sur le sol Lituanien. Alors, après avoir consulté sa famille, il décida d’ignorer les ordres et prit l’initiative de délivrer des visas de son propre chef.

 

« Les gens à Tokyo semblaient totalement détachés du problème, il m’est alors apparu que c’était idiot de discuter avec eux… Je savais qu’on allait me reprocher cela dans le futur. Mais en mon for intérieur, j’ai pensé que c’était la bonne chose à faire. Il n’y a rien d’illégal à sauver les vies de milliers de personnes », expliquera-t’il plus tard.

 

Du 18 Juillet au 28 Août 1940, il s’est mis a écrire, fabriquant patiemment des visas à la main. Trait après trait, coup de crayon après coup de crayon, il s’est mis à sauver des milliers de personnes, en délivrant des tickets pour la vie. Un trajet qui leur permettrait de traverser l’Union Soviétique en transitant par le Japon, pour atteindre l’île de Curaçao, Shanghai ou encore le Suriname.

 

Voici une copie de l'un des visas écrits, à la main, par Chiune Sugihara : 
Wikimedia Commons/user Huddyhuddy

Sugihara travailla avec acharnement, entre 18 à 20 heures par jour, pour sauver le plus de personnes possible. Chaque jour, il produisait l’équivalent d’un mois de visas (!) jusqu’à ce que finalement, le 4 septembre, le consulat du Japon soit fermé et qu’il soit contraint de quitter son poste.

 

Des témoins rapportent qu’il a continué à écrire des visas sur le chemin de son hôtel jusqu’à la gare, et une fois dans le train, il jetait encore des visas par la fenêtre à la foule de réfugiés éperdus, alors même que le train s’en allait.

 

Puis, dans un dernier geste désespéré, il jetait des liasses de papier portant le sceau du consulat et sa signature griffonnée en hâte, qui pourraient par la suite être transformés en visas. Jusqu’au dernier moment, comme un fou, il écrivait, et écrivait encore.

Alors que le train s’emballait, les témoins l’ont vu se courber solennellement devant ceux qui restaient, regrettant de ne pas avoir pu donner un visa à tous : « S’il-vous plaît, pardonnez-moi. Je ne peux plus écrire. J’espère que vous vous en sortirez ».

 

 

La démarche de Sugihara apparaît comme purement humaniste et désintéressée : non seulement il n'en tira aucun avantage, mais sa carrière fut brisée par son action. Après la guerre, il fut évincé du ministère de l’immigration, officiellement pour « coupes budgétaires ».

Ce n'est qu'après sa mort que l'État japonais l'a réhabilité.

 

Bien des années plus tard, quand on lui demanda pourquoi il avait sacrifié sa carrière, risqué sa vie et celle de sa famille, pour aider d'autres personnes, il aurait répondu, citant un adage samouraï : « Même un chasseur ne peut tuer l'oiseau qui vole vers lui en cherchant un refuge ».

 

Après avoir perdu son poste à la fin de la guerre, Sugihara devint interprète et traducteur afin de subvenir aux besoins de sa famille. Il finit même par vendre des ampoules électriques au porte à porte afin de gagner un peu d’argent. À force d’acharnement, il réussit ensuite à remonter la pente, jusqu’à devenir manager d’une compagnie d’exportation, pendant les dernières années de sa vie.

 

 

Il n’était qu’un simple fonctionnaire, un travailleur comme tant d’autres… Porteur d’un énorme secret, à la fois dramatique et sublime.

 

Cette statue a été construite pour Sugihara à Los Angeles, dans le quartier de Little Tokyo. Elle représente le fonctionnaire, assis sur un banc, tendant un visa.

Joseph Brent

Le texte qui se trouve sur la pierre érigée à côté de la statue, en guise d'épitaphe, est une citation extraite du Talmud :

 

« Celui qui sauve une vie, a sauvé le monde entier. »

 

En 1985, soit un an avant sa mort, Israël l'honora en tant que Juste parmi les nations. Malgré cet honneur, il est resté largement inconnu du public, y compris dans son propre pays d’origine, le Japon.

 

Chiune Sugihara n’aura peut-être pas eu le droit à un film sur sa vie, comme Oskar Schindler… Mais son histoire demeure sublime, et il mérite que l’on se souvienne de son nom.  Aujourd’hui, on estime que 40,000 juifs, enfants et petits-enfants des personnes qu’il a sauvé, sont en vie grâce à lui.
Source : Upworthy

Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste