La vie incroyable de ce Pygmée, exposé partout aux États-Unis comme le chaînon manquant de l'humanité, est foudroyante... Son nom était Ota Benga !

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En 1904, l’Exposition universelle de Saint-Louis (États-Unis) présentait un groupe de Pygmées venus tout droit de l’État indépendant du Congo (actuelle RDC). Parmi eux se trouvait Ota Benga, un jeune homme au destin unique... et tragique !


Même si aucun registre ne l’officialise vraiment, la naissance d’Ota Benga est estimée durant l’année 1883. Originaire de la tribu des Mbuti, un groupe ethnique congolais de chasseurs-cueilleurs, il partit un jour seul à la chasse à l’éléphant. À son retour au village, il découvre l’horreur !


La Force Publique (une force armée de l’état congolais) avait attaqué son village, tuant notamment sa femme et ses deux enfants. Seul survivant puisqu’il était absent lors de l’attaque, il devient prisonnier de la Force Publique avant que cette dernière ne l’abandonne dans un village habité par les Bashilele, une autre tribu congolaise.


Nous sommes alors en 1903… C’est à ce moment-là qu’il rencontre Samuel Phillips Verner, un homme d’affaires et missionnaire américain chargé de ramener du continent africain des autochtones afin de les présenter à l’Exposition universelle de 1904, à Saint-Louis. Le mécène américain parvient à acquérir Ota Benga auprès de marchands d’esclaves en échange de morceaux de tissu et de sel.

Ota Benga est le deuxième en partant de la gauche / Crédit photo : South Carolina Library


Le jeune pygmée débarque donc en juin 1904 à Saint-Louis avec quatre autres pygmées, sous la houlette de Samuel Phillips Verner, alors que l’Exposition a déjà ouvert ses portes. La présence d’Ota Benga et ses semblables suscitent un vif intérêt auprès des visiteurs. Durant l’Exposition, Ota Benga fascine d’abord avec ses dents pointues, aiguisées comme celles d’un requin, qu’il montre aux visiteurs en échange de quelques pièces de monnaie. Il joue également du « molimo », un instrument de musique traditionnel pour divertir les visiteurs.


En décembre 1904, l’Exposition universelle de Saint-Louis ferme ses portes et le Pygmée s’apprête à partir avec Samuel Phillips Verner à travers le pays. Ce dernier s’en sert notamment pour ses conférences scientifiques et anthropologiques.


De Baltimore à la Nouvelle-Orléans, en passant par Washington, Ota Benga découvre le mode de vie occidental. Il est notamment reçu à l’ambassade de Belgique dans la capitale américaine, et rencontre aussi le cardinal américain James Gibbons, connu pour être un défenseur de la cause ouvrière. Ota Benga évoque notamment avec lui les actes perpétrés dans son pays.


Après ce long périple, Ota Benga retourne à la Nouvelle-Orléans, où il assiste par hasard au carnaval de la ville, afin d’embarquer pour retourner au Congo avec Verner et les quatre autres pygmées. En mai 1905, Ota Benga et ses semblables sont enfin de retour dans leur pays natal. Ils essayent d’expliquer aux autres habitants de la région tout ce qu’ils ont découvert, leur parlant notamment des objets industriels (photographie, train, etc…).

American Museum of Natural History


De son côté, le missionnaire américain en profite pour collecter de nombreux produits locaux (comme l’ivoire) afin de les livrer dans les musées américains. Ota Benga fait alors office de guide, aidant Verner à négocier avec la population locale. Le Pygmée se réconcilie avec sa vie de chasseur et se marie à nouveau. Mais cette dernière meurt un jour d’une morsure de serpent. Un drame qui provoque le courroux du peuple de sa femme, qui bannit Ota Benga, considéré alors comme un sorcier à cause de son amitié avec « l’homme blanc » qu’est Verner.


Les deux hommes quittent alors le Congo en juin 1906 et débarquent à New York deux mois plus tard, après des escales en Sierra Leone et en Angleterre. Dans la « Big Apple », Verner s’accorde avec H. C. Bumpus, directeur du Musée américain d’Histoire Naturelle, pour qu’il garde Ota Benga. Le Pygmée réside alors dans une pièce faisant office de chambre.


Il a le droit de se rendre dans toutes les salles du musée tout en étant interdit de quitter l’établissement. Cependant, cet espace restreint lui est insupportable et au bout de quelques semaines, après quelques tentatives d’évasion et des problèmes comportementaux, il est transféré au zoo du Bronx, le 27 août 1906.


Là-bas, il est assez libre de ses mouvements. Il aide même les gardiens du zoo pour s’occuper des animaux en cage. Cependant, cette liberté ne dure que quelques jours puisque le 8 septembre, il est placé dans un enclos de la « Monkey House » (la division du zoo consacrée aux singes) selon la volonté de William Hornaday, le directeur du zoo.

Bronx Zoo


Dans le cadre d’une exposition destinée à promouvoir les concepts de l’évolution humaine et le racisme scientifique, il est exposé comme le chaînon manquant de l’humanité. Il est encouragé à interagir avec les visiteurs, en compagnie d’un perroquet et d’un orang-outan. Chaque jour, ce sont près de 40 000 personnes qui viennent découvrir Ota Benga au zoo. Le Pygmée rejoue le jeu, comme lors de l’Exposition universelle de Saint-Louis.


Heureusement pour lui, alors que l’esclavage est banni aux États-Unis depuis 40 ans, des protestations provenant d’ecclésiastiques baptistes afro-américains viennent mettre un terme à cette mascarade. Le 27 septembre 1906, soit un mois après son arrivée au zoo, Ota Benga est libéré et confié à un orphelinat pour enfants noirs à Brooklyn.


Dans cet orphelinat, le directeur James Gordon lui enseigne l’anglais et lui apprend à se comporter comme un « homme civilisé ». Ota Benga arrive alors à écrire ses nom et prénom pour la première fois. Il enchaîne les séjours dans plusieurs orphelinats new-yorkais jusqu’à son transfert dans un orphelinat à Lynchburg en Virgine, en mars 1910.


Là-bas, il parfait son éducation, s’habille de manière occidentale et masque ses dents pointues grâce à des couronnes. Il fréquente une école primaire pour améliorer son niveau d’anglais. Après l’école, il accumule les petits boulots, comme ouvrier dans une usine de tabac.

thedailybeagle.net


Alors qu’il rêve de retourner sur ses terres natales, le déclenchement de la Première Guerre mondiale rend caducs ses projets de retour, d’autant plus qu’il n’a pas assez d’agent. Dépressif, il se suicide d’une balle dans la poitrine avec un revolver qu’il avait volé, le 20 mars 1916. Enterré au cimetière public de Lynchburg dans une tombe anonyme, son emplacement reste toujours un mystère…


Incroyable histoire, n’est-ce pas ?

Au sujet de l'auteur : Jérémy Birien

Journaliste, rédacteur en chef