Faut-il faire de la garde alternée la solution par défaut lors du divorce ? Le débat relancé par une proposition de loi à l'Assemblée

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Le 8 novembre, lors des questions au gouvernement, le député Philippe Latombe (MoDem) défendait sa proposition de loi devant l'Assemblée. Cette proposition concernait la garde des enfants de parents séparés, qui ne concerne que  17% de ces familles (73% d'enfants vivent uniquement chez leur mère). L'idée : que la garde partagée soit « la règle, et non plus l'exception ». Père de deux filles, divorcé, l'élu est lui-même directement touché par le sujet, et dénonce entre autres les barrières et complications administratives qui peuvent empêcher les pères de voir leurs enfants.  Au final, le texte a été adopté mercredi, en commission... mais dans une version atténuée, et réécrite sur ses grandes largeurs.

Femme avec son enfant en garde alternée — Shutterstock

La garde alternée comme principe de base en cas de séparation : c'est l'idée que défend le député centriste Philippe Latombe. Ce système de partage est aujourd'hui loin d'être favorisé, la loi étant largement plus favorable aux mères qu'aux pères lors de la séparation : selon une étude effectuée en 2013, seuls 17 % des pères d'enfants divorcés obtiennent la garde alternée (contre 8,8% dix ans plus tôt) alors que 73% des enfants vivent exclusivement chez leur mère... et 7% exclusivement chez leur père.

Pour cause : lors de la séparation d'un couple ayant un enfant, c'est la mère qui reçoit la garde de l'enfant par défaut. Si le couple souhaite mettre en place une garde alternée, le père doit fournir de nombreux documents pour appuyer sa demande — une démarche qui peut être grandement compliquée si la mère n'est pas d'accord et souhaite garder seule l'enfant. Philippe Latombe déclare d'ailleurs avoir dû lui-même batailler devant le juge des affaires familiales pour obtenir la garde alternée de ses deux filles âgées de 11 et 14 ans.

Débat relancé entre l'égalité parentale et le risque de violences conjugales 

La proposition de loi, qui a été soumise à l'Assemblée ce mercredi 22 novembre, vise à faire de la garde alternée la solution de base... à l'exception notable des cas de maltraitance, insiste bien le député. Pour cause, il est  accusé par la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) de « mettre en danger les femmes et les enfants » en imposant cette « nouvelle tentative sur la résidence alternée obligatoire ». La fédération, qui se bat contre les violences faites aux femmes, craint des dérives en cas de violences conjugales ou de violences sur enfants, et a déjà manifesté son « opposition totale » au texte.

L'auteur de la proposition de loi, de son côté, clame au contraire son attachement à l'égalité entre les femmes et les hommes, et se défend de vouloir « retirer un droit à l'un pour le donner à l'autre ». Il n'hésite pas à prendre des gants : ce qu'il défend n'est pas obligation de garde alternée, contrairement à ce que réclament les associations de pères, mais bien un « rééquilibre » des choses, toujours en gardant en priorité en tête « l'intérêt supérieur de l'enfant ». Pour lui, en ce qui concerne l'attribution de la garde, «  il faut trancher à partir d'éléments rationnels et non seulement parce que l'un des parents ne le souhaite pas. »

La secrétaire d'État chargée de l'égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, soutient quant à elle l'idée de faire de la résidence alternée le principe général en cas de séparation des parents. « L'idée est d'aller vers plus d'égalité parentale », a-t-elle déclaré sur CNews.

Cependant, de nombreux juristes, experts judiciaires et psychanalystes affirment qu'un hébergement alterné égalitaire n'est possible qu'en fonction de la relation des parents après le divorce. Selon eux, ce type de cadre ne peut fonctionner que si les deux parents sont d'accord à ce propos, ou qu'ils ont de bons rapports. Le principal problème qui peut se poser est l'utilisation « malveillante » du principe de la résidence alternée : certains parents peuvent en effet avoir recours à la demande de garde alternée pour des raisons très éloignées de l'intérêt de l'enfant, par exemple comme un moyen de se soustraire au versement de la pension alimentaire, comme moyen de chantage ou de pression sur le conjoint, ou encore dans une volonté de nuire à l'ex-compagne ou compagnon. 

Une version adoucie du texte

Si le texte a finalement été adopté hier par la majorité, il a en revanche été largement réécrit par cette dernière. Si, au départ, la proposition de loi concernait « le principe de garde alternée des enfants », la loi qui a finalement été approuvée a pour objet « la résidence de l'enfant en cas de séparation des parents ». La résidence administrative de l'enfant est désormais « fixée au domicile de chacun des parents selon les modalités de fréquence et de durée déterminées par accord entre les parents ou par le juge ». Cependant, ni la fréquence, ni la durée en question ne sont clairement déterminées par ce texte, ces derniers points étant encore laissés librement à l'appréciation du juge.

D'autres points du texte ont été adoucis ou simplifiés, afin de laisser davantage de marge de manœuvre aux magistrats, et de pouvoir s'adapter au cas par cas. Cela devrait permette d'être plus flexible au regard de la variété des situations possibles.

Cependant, ces modifications n'ont pas été du goût de tout le monde, et notamment dans le camp des Républicains. Les députés Xavier Breton et Thibault Bazin ont ainsi exigé le report de l'examen de la proposition de loi, dénonçant un texte « complètement dénaturé » après son passage devant la commission. L'entrée en vigueur de cette nouvelle législation ne serait de toute manière pas prévue avant 2019... autant dire que les pro et anti auront tout le temps de s'écharper d'ici là.


Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste