La légende de Yasuke, l'esclave africain devenu le premier samouraï étranger au Japon

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Une légende tombée dans les oubliettes de l’Histoire a refait surface il y a quelques années, bien loin des manuels scolaires. Celle de Yasuke, un esclave devenu le premier étranger à accéder au rang de samouraï au Japon.

Son nom de naissance, nul ne le connaît. Il a fallu cinq siècles pour que sa légende soit enfin racontée et relayée à travers le monde pour assouvir la soif de connaissance des passionnées d’Histoire. Aux Etats-Unis, la société de production Lionsgate travaille même sur un biopic concernant Yasuke, rien d’étonnant lorsque l’on découvre le destin hors du commun de cet homme arraché à sa terre natale par la traite négrière.

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C’est au Japon, sa terre d’adoption, que la légende naît et fut préservée comme l’explique auprès du Monde, Serge Bilé, journaliste et auteur de la biographie «Yasuke, le samouraï noir », publié en mars 2018 aux éditions Owen Publishing.

« Un lecteur martiniquais, passionnée d’arts martiaux, m’a contacté un jour pour me dire que lors d’un voyage au Japon, on lui avait parlé de cet Africain devenu l’un des premiers étrangers à intégrer l’élite guerrière nippone. J’ai creusé la piste en m’appuyant sur des historiens, des ethnologues, des spécialistes de l’Inde et du Japon ».

Né sur l’île de Mozambique, au large du pays du même nom, entre 1530 et 1540, Yasuke est à l’origine membre de la tribu Makua. Pêcheur-chasseur, c’est lors d’une traque au lion qu’il est capturé par des trafiquants d’esclaves et que sa vie bascula définitivement.

Aux côtés d’autres esclaves « enchaînés les uns aux autres, prostrés, accablés, découragés » sur un négrier qui navigua un mois et quelques jours jusqu’à Goa, un port portugais situé en Inde. Exhibé sur le marché à Leilao, Yasuke « enrage de se voir dévisagé comme une bête curieuse ».

Acheté par un gentilhomme qui le conduit dans une demeure appartenant à des jésuites, Yasuke n’a qu’une tâche : aller chercher de l’eau à la source et en ramener dans des grandes cruches. Une tâche qu’il subit comme une humiliation car normalement assignée aux femmes dans sa communauté. Plusieurs mois passent et Yasuke songe au suicide : « Il ne veut pas s’y résoudre. Pour sa maman, pour la revoir, il est prêt à vivre et il est prêt à tout ».

Puis, le 6 septembre 1574, 44 ecclésiastiques arrivent à Goa et l’un d’eux, Alessandro Valignano, un prêtre chargé d’inspecter les missions jésuites de sa juridiction, aura son rôle à jouer dans la destinée de Yasuke. Le 20 septembre 1577, afin de poursuivre son travail au Japon, il choisit Yasuke pour le servir et assurer sa protection. Ils partent tous les deux au pays du Soleil-Levant pour un voyage d’une durée de deux ans, comprenant des escales en Malaisie et à Macao.

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Ils arrivent au Japon le 25 juillet 1579, sur l’île de Kyushu où se trouve le siège de la mission jésuite. Là-bas, les locaux sont fascinés par la peau noire de l’esclave, une fascination expliquée à l’époque par le prêtre Organtino Gnecchi-Soldo comme le relaie l’autobiographie : « Ils aiment voir les Noirs, spécialement les Africains. Les Japonais sont même prêts à parcourir une centaine de kilomètres rien que pour les voir et se distraire en leur compagnie pendant trois ou quatre jours ».

De plus, chez les jésuites, il est courant de gagner de l’argent et de tirer profit de la fascination que suscite un esclave africain, en l’exhibant.

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Ensuite, le 8 mars 1581, Alessandro Valignano et son esclave quittent l’île de Kyushu pour rejoindre Kyoto où règne un puissant seigneur de guerre appelé Oda Nobunaga, également daimyo (gouverneur de province). Ce dernier, impressionné par le physique imposant du jeune Makua (plus de 1 mètre 90), son intelligence (il a appris le japonais) et surtout sa peau. Il lui fait même prendre un bain pour vérifier que le noir est sa couleur naturelle.

Cette rencontre entre le seigneur de guerre et l’esclave fut le tournant de la vie de ce dernier. Lorsque le jésuite dut quitter le Japon, Oda Nobunaga demanda à ce que Yasuke reste à ses côtés, ce qu’il accepta. Rapidement, Yasuke n’est plus un esclave et est élevé au rang de samouraï au sein de la garde rapprochée de Oda Nobunaga. Il a l’autorisation de porter deux sabres et le seigneur de guerre lui confie même sa lance.

« C’est un privilège exceptionnel pour l’époque. Seuls les guerriers ont le droit de porter ces deux sabres en même temps. C’est dire la confiance que Nobunaga place en Yasuke. Pour le jeune Makua, c’est le rêve d’une vie qui se réalise. Il est le premier étranger à porter les attributs des célèbres chevaliers nippons. Personne avant lui, pas même un Européen, n’avait eu cet honneur ! » explique Serge Bilé.

En plus des attributs guerriers, Yasuke se voit même offrir une maison et la fille adoptive du seigneur de guerre comme épouse. Le voilà un homme libre, puissant et respecté comme tel.

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La légende est alors en marche. En 1582, il s’illustre comme un guerrier digne des plus grands samouraïs dans la bataille de Tenmokuzan, contre Takeda Katsuyori, grand rival d’Oda Nobunaga. Cependant, si Yasuke savoure la victoire, il suscite de nombreuses jalousies dans la province.

Un samouraï du nom d’Akechi Mitsuhide, qui accusa Oda Nobunaga d’être responsable de la mort de sa mère, rassemble des hommes et lance une attaque contre lui. En infériorité numérique, le daimyo refuse de se rendre et se fait hara-kiri pour sauver son honneur, sous le regard de Yasuke qui, lui, n’a pas le courage de se planter un sabre dans le ventre. Préférant mourir au combat, il prend les armes mais est vaincu et se fait arrêter.

Cette défaite sonna le glas de la gloire pour Yasuke, même pas digne d’être tué aux yeux d’Akechi Mitsuhide comme l’indique le père Luis Frois dans une lettre écrite le 5 novembre 1582 : « Pour Akechi Mitsuhide, Yasuke n’est pas un homme, c’est un animal. Il n’est donc pas la peine de le tuer. Il faut le renvoyer en Inde chez les prêtres ».

Suite à cela, nul ne sait réellement ce qu’il est advenu de Yasuke, comme un destin perdu dans les limbes de l’Histoire : « Il est aujourd’hui impossible de connaître la fin de Yasuke. Yasuke était un homme respecté et on peut aussi envisager qu’il soit resté au Japon, mais c’est spéculatif » explique Julien Peltier, auteur du livre «Samouraïs: dix destins incroyables» aux éditions Prisma.

Le reste appartient tout simplement à sa légende, préservée telle qu’elle est, elle reste belle et incroyable à conter.

Source : Le Monde

Au sujet de l'auteur : Jérémy Birien

Journaliste, rédacteur en chef