Marielle Franco, porte-voix des favelas qui dénonçait les violences policières au Brésil, a été assassinée par balles

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Le Brésil pleure la mort de Marielle Franco, conseillère municipale de Rio de Janeiro, assassinée par balles ce mercredi 14 mars. Les enquêteurs privilégient la thèse de l' « exécution » pour mobile politique. Marielle Franco était une ardente défenseuse des habitants des favelas, ces quartiers défavorisés dont elle était elle-même originaire.

Elle était également largement connue pour ses combats en faveur des droits des femmes et des Noirs. Elle dénonçait sans relâche les violences, notamment policières, dont afro-descendants, femmes et favelados brésiliens sont les victimes malheureusement récurrentes. Elle avait 38 ans, et était mère de famille.

Marielle Franco/Facebook

Comme trop souvent au Brésil, l'engagement militant et la volonté de transformer une société gangrenée par les injustices se sont une nouvelle fois soldés par le sang et les larmes. Marielle Franco a été abattue mercredi soir, à Rio, de cinq balles dans la tête, pour avoir voulu se faire la voix des opprimés. Cinq tirs, alors qu'elle était assise sur la banquette arrière du véhicule qui la ramenait d'une réunion avec des femmes Noires impliquées pour faire bouger les lignes. Son chauffeur, Anderson Gomes, a également perdu la vie au cours de l'attaque. 

Le plus terrible est que sa mort n'est, malheureusement, pas vraiment surprenante. Marielle Franco a été à son tour victime de ces statistiques, de ces violences qu'elle dénonçait pourtant inlassablement. « Au Brésil, un jeune afro-descendant meurt toutes les 21 minutes » rappelle à la BBC Maurizio Giuliano, directeur du Centre D'Information des Nations Unies pour le Brésil. Ce dernier s'est dit « préoccupé par les défis et les risques que les défenseurs des droits de l'Homme affrontent » au Brésil.

Les Brésiliens sous le choc

L'affaire met actuellement le pays en grand émoi, alors que les militaires ont été appelés à remplacer la police à Rio de Janeiro afin de lutter contre une insécurité grandissante. Cette mesure, décrétée par le président Michel Temer et présentée comme une solution de dernier recours, a été largement critiquée par une partie de la gauche brésilienne... et par certains observateurs qui y voient planer, dans cette mobilisation de l'armée, l'inquiétant fantôme de la dictature militaire de 1964-1985.

Marielle Franco, férocement opposée à un tel déploiement de force, avait été désignée rapporteure de la commission créée par la chambre municipale pour surveiller l’action des forces de l’ordre et éviter tout débordement dans les quartiers défavorisés. Souvent criminalisés de facto à cause de leur origine sociale, les habitants des favelas sont régulièrement les victimes collatérales des affrontements entre les factions de narcotrafiquants et les forces de l'ordre.

Si les motifs exacts de l'assassinat de la militante ne sont pas connus, les forces de police de Rio ont d'ores et déjà refusé l'aide de la Police Fédérale pour la gestion du dossier de l'enquête. L'Association des Juges pour la Démocratie (AJD) réclame quant à elle une enquête indépendante, étant donné la possibilité qu'il y ait une implication de membres des forces de l'ordre dans le meurtre de Marielle Franco.

Après l'annonce de la mort de la femme politique, de nombreux Brésiliens, choqués, sont descendus spontanément dans la rue. Jeudi, en début d'après midi, ils étaient plusieurs milliers à manifester devant la Chambre Municipale de Rio de Janeiro. Tout en occupant l'entrée des locaux, ils ont rendu hommage à la conseillère municipale, et ont scandé des slogans contre la Police Militaire. De nombreux rassemblements ont également été organisés un peu partout dans le pays pour dénoncer ce que tout semble pour l'instant désigner comme un assassinat politique.

Des milliers de manifestants se sont rassemblés devant la Chambre Municipale (Rede Brasil Atual)


Une enfant des favelas, porte-parole des espoirs des discriminés 

Sociologue, militante, défenseuse des droits de l'Homme et de la cause féministe, Marielle Franco faisait partie de ces Brésiliens issus des couches les plus défavorisées, parvenus à force de lutte acharnée à gravir les échelons de la société pour faire entendre la voix de ceux qui n'en ont pas. 

Elle qui a grandi à Maré, un ensemble de favelas particulièrement violent de la Zone Nord de capitale fluminense, elle était parvenue à se faire élire membre de la Chambre municipale de Rio de Janeiro, sous l'étiquette du PSOL (Parti Socialisme et Liberté). Un exploit, et une magnifique revanche sur la vie pour celle qui a commencé à travailler à l'âge de 11 ans, afin de payer ses études.

C'est le désir de se battre pour ceux des favelas qui l'a conduit à se lancer dans la politique, et elle bénéficiait pour cela d'un fort appui populaire, particulièrement auprès des plus démunis. Élue en 2016 avec plus de 45 000 voix, elle était la cinquième conseillère municipale ayant obtenu le plus de votes à Rio.

Une voix pour dénoncer les violences perpétrées par la Police Militaire

Juste avant de mourir, Marielle Franco avait relayé sur Twitter de très graves accusations, portées par des habitants d'une favela contre le 41e bataillon de la Police Militaire de Rio (PMERJ).

Cette organisation militaire est considérée comme étant l'une des plus violentes de Rio et se livrerait, selon plusieurs témoignages, à des manœuvres d'intimidation, des menaces et des assassinats. Selon les habitants, deux jeunes auraient été tués et jetés dans une fosse par les militaires, et des habitants auraient reçu des menaces.


« Ce qui se déroule actuellement à Acari [ le nom de la favela, N.D.L.R ] est une absurdité ! Et cela se produit depuis toujours ! Le 41e bataillon de la Police Militaire est bien connu comme étant le Bataillon de la Mort. ARRÊTEZ de tabasser la population ! ARRÊTEZ de tuer nos jeunes ! »

Sur l'image, il est inscrit : « Nous sommes tous Acari. Arrêtez de nous tuer ! »

« Marielle Franco enquêtait sur des assassinats apparemment commis par des policiers désireux d’éliminer des gens qui en savaient trop sur leurs agissements », explique Zeca Borges, coordinateur du Disque-Denúncia de Rio (un service qui permet à la population de dénoncer faits de violence), au journal Libération.

« Que ceux qui croient qu’on peut réduire au silence les voix qui défendent les pauvres et les victimes d’injustices se détrompent », a réagi de son côté Ivan Valente, député du PSOL, le parti de Marielle Franco.

Malheureusement, la mort de la conseillère municipale carioca fait suite à une triste et ancienne tradition brésilienne, celle de la criminalisation des mouvements sociaux et des violences et assassinats d'activistes politiques qui dérangent.

Le nom de Marielle Franco s'inscrit dans une liste sanglante, interminable, précédée par les noms des militants pour les droits des Noirs, des communautés quilombolas ou des peuples Amérindiens, par ceux de la cause écologiste et des défenseurs de l'Amazonie, par ceux des activistes du Mouvement des Paysans Sans Terre

BBC

Alors que des manifestations en soutien à la femme politique, des députés européens appellent à une suspension de toutes les négociations avec le Mercosur . Le parti espagnol Podemos a ainsi pressé la Commission Européenne de suspendre les accords commerciaux, tant que la situation n'aura pas été résolue, afin de condamner l'assassinat.

Ce samedi après midi, à Paris, une marche en soutien à Marielle Franco sera organisée et partira à 14 heures de la Place de l'Opéra.


Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste