Le carnaval « La nuit des Noirs » déclenche une nouvelle polémique sur le « blackface »

Depuis quelques mois, les polémiques concernant les « blackface » se multiplient et constituent une véritable déferlante, entre incompréhension et colère sur la toile. Usage à tort du blackface, ignorance de cette pratique, elle serait une « blague » pour certains quand elle semble être un « hommage » pour d'autres. Pourquoi le blackface n'est pas toléré et ne le sera jamais ?

L'Obs

Antoine Griezmann a remis, malgré lui, le débat sur la place publique après avoir posté une photo de lui grimé en basketteur noir des années 1980, visage et corps peints en noir, une perruque afro sur la tête, se défendant d'avoir voulu rendre  «hommage » aux Harlem Globetrotters. Un acte teinté de maladresse et d'ignorance, on lui concède. Il s'est d'ailleurs excusé et a supprimé sa publication, tout de suite après avoir été la cible d'une avalanche de critiques sur Twitter.

Ce déguisement de mauvais goût aurait presque pu passer inaperçu quelques années auparavant, malheureusement pour lui, il a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. En effet, il n'est pas le seul à avoir essuyé de vives critiques quant au choix de son « déguisement ». Quelques mois auparavant, c'était la Youtubeuse Shera Kerienski qui s'était peint le visage en noir. Dans son cas, elle revendiquait l'ignorance du terme « blackface » et se défendait en invoquant un simple tutoriel maquillage. Le but ? Rendre compte de la difficulté pour les femmes noires de se maquiller. Bon. À l’instar de « Grizou » elle s'était excusée (sans que la polémique ne désenfle pour autant). Louis-George Tin, professeur de littérature à l'université d'Orléans et président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), commente : « L'ignorance est bien souvent à l'origine du racisme »

Capture d'écran sur le compte Youtube de Shiera Kerienski

Et des cas de « blackface », on en dénombre avec une facilité déconcertante. En 2013, Jeanne Deroo, journaliste pour ELLE magazine, avait fait parler d'elle après avoir voulu se « déguiser » en Solange Knowles, se maquillant ainsi le visage en noir et arborant une perruque afro. En 2014, des policiers du Kremlin Bicêtre, avaient organisé une « soirée négro », tous grimés en noirs avec des bananes dans les mains. Le caractère raciste de cette situation était flagrant. Le Cran (Conseil représentatif des noirs de France) avait d'ailleurs saisi le défenseur des droits, jugeant le blackface comme pratique raciste.

Huffington Post

Mais plus récemment, un « nouveau genre » de blackface fait parler de lui. Ou d'elle. Puisqu'il s'agit en fait d'une « tradition » vieille de 50 ans à Dunkerque. Et le nom de ce festival fait froid dans le dos, jugez un peu : « La nuit des Noirs ». Concrètement, des blancs se griment en noirs avec de la peinture noire et sont habillés de jupe en raphia accessoirisé de colliers d'os. Ou comment faire circuler un stéréotype affligeant. Il a suffi de quelques tweets pour qu'un grand nombre d'internautes s'offusquent et demandent l'annulation de ce carnaval : « Si ces faits sont avérés, cela nous laisse juste le temps de nous préparer pour nous inviter à cette fête qui, vraisemblablement, nous est particulièrement dédiée. Ainsi ce sera pour nous l'occasion de rappeler aux organisateurs/trices que notre couleur de peau n'est pas un déguisement, et que le Blackface ressuscite les années les plus pâles de la #NégrophobieStructurelle à l'origine de l'humiliation et de la mort de nombreux/ses noir.e.s » a écrit la "Brigade Anti Négrophobie" sur Facebook.

Supprimer « La nuit des Noirs » ? Pour Pierre Vaillat, l'un des organisateurs du carnaval, c'est impensable : « Annuler la nuit des Noirs ? Vous voulez rire ? À Dunkerque, on n'annule pas une fête des carnavaleux. Ce que l'on a à répondre aux accusations de racisme ? Que chaque année, on a des amis noirs qui participent à la fête et que tout se passe très bien ». Il se défend donc d'avoir des amis noirs, du coup il faudrait lui accorder une légitimité sans faille. La fameuse défense du « je ne suis pas raciste, j'ai un ami noir » a donc toujours bon dos. Il serait donc peut-être bon de prendre conscience qu'être noir ne peut et ne doit pas constituer un « déguisement ». Être noir est un héritage culturel qui a connu une expérience brutale. Ce n'est donc pas un travestissement que l'on peut railler. Être noir c'est une appartenance culturelle. Une appartenance  qui a suffisamment été relevée et rejetée au cours d'une douloureuse histoire raciale pour qu'on l'écrase aujourd'hui « juste pour rire ». Le Défenseur des droits reconnaît d'ailleurs que le « blackface » est une « pratique raciste ». Du coup, les personnes qui se cachent derrière l'humour ou l'art pour se défendre d'avoir arboré un visage peint en noir sont prévenus.

Une petite piqure de rappel s'impose face à la prolifération de ce phénomène, symbole d'un héritage esclavagiste

Pour bien comprendre pourquoi se grimer en noir indigne, gêne ou blesse, il faut remonter au XIXème siècle, lorsque l'exposition des esclaves noirs était un divertissement pour les blancs. À cette même époque, les Anglo-Saxons se retrouvaient entre blancs dans les théâtres où l'on mettait en scène, sous la forme de vaudevilles (c'est une comédie sans intentions psychologiques ni morales, fondée sur un comique de situations. Au cinéma et en littérature c'est, par analogie, un film ou un roman comique, proche du vaudeville de théâtre, ndlr), appelés des « ministrel shows », l'existence des Noirs. Les Blancs s'appliquaient à la tâche en se grimant le visage et singeant les Noirs.

Wikipédia 

Et si des milliers de « blackface » ont été joués, il en existe un tristement célèbre. Celui de Jim Crow. En 1828, le comédien Thomas Rice est à l'initiative d'une danse et d'une chanson appelée « Jump Jim Crow ». Cette chanson, qui, à l'époque, rencontre un succès fou, raconte les tribulations d'un Noir du Sud inspirées par un esclave paralysé appelé Jim Crow ou Jim Cuff. L'ampleur de cette chanson est telle qu'elle devient une façon de désigner les Afro-américains et sera alors le surnom d'une loi institutionnalisant la ségrégation raciale dans le Sud des États-Unis en 1876. Les Noirs et les Blancs sont alors séparés dans les transports, les écoles et plus largement dans toutes les conditions de la vie en société. Ghyslain Vedeux, militant anti-raciste, a expliqué au Huffington Post que « les esclaves étaient hiérarchisés en fonction de leur couleur de peau. Par exemple, une personne à la peau plus claire pouvait travailler et dormir dans la cuisine. Une personne à la peau plus foncée, dans le jardin. » De cette façon, le blackface a « permis » de justifier le désir d'inférioriser les Noirs.

En 1927, alors que la ségrégation est au coeur du quotidien des Américains, un film propulse la pratique du « blackface » dans le milieu du cinéma. Il s'agit du film "Le Chanteur de Jazz" ou l'acteur Al Jolson est maquillé en noir. Le cinéma étant plus largement répandu, le phénomène prendra donc de l'importance. Puis, en 1960, quelques années avant la fin de la ségrégation, cette pratique est finalement condamnée essentiellement grâce aux mouvements civiques. Mais comme beaucoup de pratiques a priori interdites, celles-ci se pratiquent toujours aux États-Unis et ailleurs dans le monde, notamment en France donc. Selon l'historien Pascal Blanchard, contacté par Rue89 : « Les gens sont encore aujourd'hui les héritiers de ces spectacles populaires et de ce côté méprisant. On rigole des Noirs et du fait qu'ils soient noirs. Or, se grimer le visage n'est jamais neutre

Et quand un Noir se maquille en Blanc ?

C'est ce que le rappeur Rohff a relevé pour prendre la défense du joueur de foot, Antoine Griezmann. Selon lui le « whiteface » au même titre que le « blackface » n'a rien de choquant à partir du moment où « tout le monde s'accepte » et ne se donne pas de mal à « chercher la petite bête ». Selon lui, le véritable but serait d'« écorner l'image du joueur préféré des Français par jalousie ». Pour lui, il n'existe aucune différence entre le fait de se peindre la peau en blanc et porter une perruque blonde pour se déguiser en Johnny Hallyday, et le déguisement d'Antoine Griezmann.

Quand le plus drôle humoriste Black Americain Dave Chapelle se repeint en blanc toute l'année là-bas pour imiter des journalistes blancs c'est la crise de rire n'est ce pas? car personne se vexe tout le monde s'accepte comme il est.Cherchez pas la petite bête pour vous l'a jouer défenseur de quelques choses cachant juste le désir d'écorcher l'image du joueur préféré des français par jalousie !! @antogriezmann ne te justifies pas stp!! moi tu me vexes pas car je m'assume physiquement Afro lévres pulpeuses etc...je suis fier d'être comme Dieu m'a fait NOIR !! j'ai zéro complexe je m'en bat les couilles.T'es fan des Harlem globetrotters GO!!! Demain si je veux imiter Grizou ou Johnny pour amuser mes enfants je me passerai de la peinture blanche sur la peau et porterai une perruque blonde !!!! Je fais ce que je veux et j'emmerde tous ceux qui sont pas content de toutes mes forces !!!! Black power engagé pour le fond de commerce je le serai jamais !!!! Non merci !! Pourquoi Dave Chapelle et pas @antogriezmann ?? #FucklaVictimisation #FuckleRacismeCommeLeCommunautarisme Si je comprend bien Un blanc qui rend hommage a des noirs en se déguisant en toute innocence c'est un acte raciste?? Les sketchs de Michel leeb je les ai condamné dans mes textes j'ai attendu personne !! Les noirs n'ont jamais eu besoin des autres pour se détester entre eux !!!! Je vois que MÊME CULTIVÉ D'APRÈS LUI, LE RACISME EST TELLEMENT CON QUE LUI MÊME N'A PAS DE COULEUR !!!!! Pas besoin de me greffer une bibliothéque pour Penser ...

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En effet Dave Chappelle, l'un des plus célèbres humoristes américains a pour habitude de se déguiser en journaliste Blanc. Mais peut-on réellement comparer la pratique somme toute isolée d'un humoriste noir à des pratiques vieilles de presque 200 ans , qui plus est, se moquaient d'une communauté que l'on rabaissait et plus grave que l'on a maltraité pendant près de 14 siècles (près de 400 ans en France). 12 à 18 millions. C’est le nombre estimé d’Africains déportés depuis l’Afrique Subsaharienne vers les Amériques, entre le milieu du 17ème siècle et les années 1850. Alors, non. En effet, un Noir qui se maquille en Blanc n'indigne pas autant que tous ces « blackface » qui se multiplient et qui n'ont jamais cessé. Au même titre qu'il ne viendrait à personne l’idée de se travestir en nazi sans savoir à quoi s’attendre.

En France, si le devoir de mémoire concernant l'esclavage est insuffisant, c'est à cause d'une méconnaissance évidente de l'esclavage pour des raisons géographiques mais aussi d'un passé colonial non assumé. Les anciennes colonies françaises se situent à des milliers de kilomètres, aux Antilles ou en Guyane. À l’inverse, aux États-Unis, elles se trouvent sur le territoire américain. « Nous n'avons pas fait le lien entre la société coloniale et notre société actuelle.» a déclaré Pascal Blanchard.

Il n'est pas sans rappeler que le racisme n'est pas une opinion mais un délit.

Source : Huffington Post

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Au sujet de l'auteur : Pauline Masotta

Journaliste