Soyons humains : un site collaboratif et citoyen pour recenser les honteux dispositifs « anti-SDF » des grandes villes

Bouton whatsapp

Vous les avez sans doute déjà remarqués, ces picots au bas des murs, ces grilles, ces bancs anti-SDF et autres éléments du mobilier urbain qui rivalisent d'ingéniosité pour faire fuir les sans-abri, en les empêchant de s'allonger dans certaines zones spécifiques. Pourtant, aujourd'hui, nous y sommes tellement habitués que l'on a tendance à passer devant sans même s'en étonner. Sans se demander s'il n'y aurait pas, à tout hasard, quelque chose de légèrement anormal à vouloir débarrasser les rues des SDF en les faisant fuir… plutôt que d'essayer de remédier à leur précarité. Pour dénoncer cette pratique communément adoptée par les municipalités, Emmaüs Solidarité et la Fondation Abbé Pierre ont lancé ce mercredi l'opération « #Soyons humains ». Un site internet permet même de recenser et de dénoncer les installations de son quartier.

DR

Des séparations et des accoudoirs, plantés au beau milieu des bancs publics. Des sièges individuels séparés, qui ont remplacé progressivement les bancs du métro, des bancs « assis-debout » ou à « coussin d'acier » : depuis quelques années, ce genre d'installation se multiplie dans les villes françaises. Elles sont rentrées dans les mœurs, et nous avons fini par nous y habituer, au point de les trouver parfaitement normales. Pas besoin, pourtant, d'avoir un diplôme de designer d'objets pour comprendre l'intérêt réel de ces installations : on sait bien, au fond, que ces objets n'ont pas été conçus ainsi pour améliorer le confort des usagers — encore moins dans un intérêt de gain de place.

La vérité, c'est que si les chaises individuelles remplacent peu à peu les bancs, c'est pour obliger une position assise et empêcher les SDF de s'allonger dessus. Et ça fonctionne très bien : dans les zones équipées de ces dispositifs dernier cri, les sans-abri sont effectivement contraints de trouver une autre solution s'ils souhaitent passer la nuit dans une position pas trop inconfortable.

Les bancs publics ne sont pas le seul domaine où le génie des designers peut être mis à contribution par les municipalités dans le but de rendre la vie un peu plus compliquée aux indigents : Les abords de certaines banques se sont ainsi vus parés de jolis petits picots, de boules et autres pointes. Là aussi, nul besoin d'être grand prophète pour comprendre que le caractère esthétique de ces sympathiques « décorations » est, tout au plus, une considération de second plan.

soyonshumains.fr/ capture d'écran

Tout comme les pigeons que l'on éloigne en bardant de pointes les rebords de fenêtres, les plus pauvres sont traités comme une présence indésirable, des parasites dont il faut se débarrasser. Et le pire, c'est que cela ne nous choque même plus.

C'est pourquoi, pour lutter contre cette pratique, Emmaüs Solidarité et la Fondation Abbé Pierre ont lancé ce mercredi l'opération « #Soyons humains ». Le but : « afficher » les installations anti-SDF comme étant ce qu'elles sont réellement, à savoir des dispositifs odieux, cyniques et inhumains qui devraient nous révolter à chaque fois que nous passons à côté.

Des militants couvrent ainsi les bancs, grilles et autres lieux en question d'affiches sur lesquelles il est inscrit : « Au lieu d'empêcher les SDF de dormir ici, offrons-leur un logement décent ailleurs »

Ce qui a mis le feu aux poudres : un système, mis en place par les résidents d'une copropriété près de la rue de Rivoli, dans le 1er arrondissement de Paris, qui asperge d'eau glacée les SDF qui auraient le malheur de vouloir se réfugier près du porche de leur parking.

Un système qui a soulevé des vagues d'indignation… d'autant plus qu'il a été implanté juste en face de l'immeuble où ont été constitués les premiers groupes Emmaüs à Paris !

.

La Fondation Abbé Pierre a également lancé, en partenariat avec Emmaüs, un site internet : soyonshumains.fr. Chaque citoyen est invité à photographier ces dispositifs anti-SDF puis a posté les clichés obtenus sur la plateforme afin de les répertorier… et de les dénoncer.

On remarque ainsi que, à Paris par exemple, c'est dans le centre-ville et les parties les plus touristiques de la ville que ce type de mobilier et d'aménagement est le plus fréquemment signalé.

Certes, comme il s'agit d'une carte collaborative, les données sont constituées avant tout au gré des photographies des internautes. Une chose est sûre : les installations anti-SDF sont beaucoup plus répandues que l'on ne voudrait bien l'imaginer, et il est grand temps d'arrêter de les trouver normales.


Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste