Misogynie, homophobie et chants nazis : L'envers du décor du lycée militaire de Saint-Cyr

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Elles touchaient l'entrée à l'armée du bout de leurs doigts. Elles étaient proches d'atteindre leur rêve de faire partie de l'armée. Leur rêve était atteignable grâce aux classes préparatoires du lycée militaire de Saint-Cyr-l'Ecole, une pointe en la matière. Leur rêve a été balayé d'un revers de la main, de plusieurs mains misogynes. Aujourd'hui, elles parlent et racontent leur calvaire dans les colonnes de Libération du 23 mars.

Crédit image : shutterstock.com / isaxar - Paris, 14 juillet : Les étudiants de la célèbre école Saint-Cyr-l'Ecole

C'est à travers des témoignages corrosifs que des jeunes femmes se sont livrées à Libération, quant au sort qui leur a été réservé lors de leurs années de classes préparatoires pour l'École spéciale militaire. Là où la discipline, le respect d'autrui et le dépassement de soi sont des valeurs inculquées. Et pourtant. L'envers du décor est bien différent.

Et apparemment au lycée de Saint-Cyr-l'Ecole « porter un vagin ruine une carrière, une vocation, une vie » assène Mathilde*, qui a, de son plein gré, contacté Libération pour faire part de sa condition de vie, emboîtant le pas à « une quinzaine d’autres personnes ». Mathilde a 20 ans. Et Mathilde a « honte » : « J’ai honte d’avoir voulu aller dans une armée qui n’est pas prête à recevoir des femmes. »

Poursuivre son rêve ou garder sa dignité

De l'ambition, beaucoup. Du courage, encore plus. Les « tradis », ou plutôt les bourreaux, ne reculent devant rien. Pas même devant une personne emplie d'ambition. Au contraire. C'est apparemment le moteur des horreurs qu'ils perpétuent. À Saint-Cyr-l'Ecole, l'ambition des unes nourrit le vice des uns. Et être une ambitieuse n'est apparemment pas, selon eux, la destinée d'une femme, qu'ils appellent d'ailleurs « les grosses » puisqu'elles « sont juste bonnes à être engrossées » déplore Marie, une ancienne étudiante, dans les colonnes de Libération.

Selon Libération, tous les témoignages recueillis « couvrent une période allant de 2013 à aujourd’hui ». Et ils font froid dans le dos. Pour rabaisser les étudiantes, les « tradis » s'adonnent à des activités où l'humiliation est la principale motivation : « Coups de pied dans les portes la nuit pour empêcher les filles de dormir, défécation devant leur chambre, refus de manger à la même table qu’elles à la cantine ».

Mais ce n'est pas tout. Libération révèle également que les flots d'insultes persistent : « Pancartes 'à mort les grosses' affichées dans l’internat, chansons composées des termes 'salopes' et autres 'cuissssss' marmonnées au passage d’une élève en couple, remise du 'concombre d’or' devant toute la promotion à la jeune fille qui a 'le plus cuissé durant l’année' (comprenez avoir eu un rapport sexuel) ».

Bafouer le statut de la femme

Pour certaines, le harcèlement était tel qu'elles en sont devenues malades. Aurore* en fait partie et raconte à Libération qu'elle se « sen[t] humiliée dans [son] identité de femme et bafouée dans [son] droit d’être ici : Ça m’a rendue malade. J’ai longtemps eu des nausées, des maux de ventre, un corps épuisé. J’en ai parlé à un médecin qui m’a confirmé que tout n’était que psychologique. » 

« On retrouve les filles en pleurs dans les couloirs, prêtes à tout arrêter du jour au lendemain, rapporte une source interne. Entre le stress des concours, l’intensité des semaines de cours et ce sexisme en situation de force, beaucoup d’étudiantes n’arrivent plus à contrôler leur sentiment de détresse » rajoute l'ancienne élève.

Pour d'autres, l'abandon s'avère être la solution la plus viable. « Les tradis ont réussi à me faire penser que je n’étais pas assez douée pour devenir officière. Je suis partie » confie une jeune fille. Une autre explique les raisons de son départ et donc de son abandon : « Je m’étais interdit de craquer en prépa car je pensais qu’à l’École spéciale, les garçons tradis disparaîtraient dans la masse. J’ai cru pouvoir me débarrasser d’eux, je me suis trompée. »

Croix gammées, homophobie et anti-avortement : Le règne du fascisme

Mais alors, qui sont ces « tradis » qui sévissent et font du mal ? Quelles sont leurs idées profondes ? Libération en dresse un tableau des moins glorieux. « Des garçons ultraconservateurs » qui remplissent toutes les cases du fascisme primaire. « Dans les couloirs de leurs dortoirs, ils brandissent fièrement le drapeau des confédérés américains, devenu dans le monde entier un signe de ralliement raciste ». Et comme l'un va de pair avec l'autre, Libération révèle que selon une source interne « des croix gammées auraient été retrouvées dessinées à la craie sur certaines chaises, avec l’inscription Deutschland über alles (un extrait de l’hymne allemand utilisé par les nazis) ».

L'ultra-conservatisme dont ils font preuve ne s'arrête pourtant pas là. Et comme la misogynie fait partie de leurs valeurs profondes, « les tradis 'likent' des groupes qui militent contre l’avortement ». Selon un ancien professeur qui s'est également confié au journal, ces garçons qui ont entre 17 et 21 ans « sont nostalgiques 'de la religion d’Etat, des colonies…' Et ils pensent qu’accorder des congés paternité, c’est contre-nature' ».

Mais ces mêmes garçons, bien qu'ils semblent téméraires et c'est peu dire, ne dérogent pas à la tradition de la messe dominicale. Et bien que l'on y prêche la tolérance et l'acception de son prochain, ces ultrasconservateurs ne semblent pas l'entendre de la même oreille : Ils « se sont procuré un drapeau gay pour le brûler au lycée. Une information recoupée par plusieurs témoins. D’ailleurs, un des sketchs organisé (...) montrait un homme symboliquement envoyé au bûcher. Il portait des bretelles arc-en-ciel ».

Seules contre tous

Bien que la souffrance vis-à-vis de ces lynchages constants, une frustration semble encore plus importante. Un arrière-goût amer face au silence des hauts gradés. « Ce sexisme psychologiquement virulent, orchestré par une minorité puissante est subi de manière quotidienne par une large majorité d’étudiantes, 'sans que le commandement ne bouge d’un orteil' », indiquait Mathilde, la même qui avait rédigé un courrier à Emmanuel Macron, sans qu'aucune « mesure n'a été annoncée après ».

Un « vase clos réactionnaire et paternaliste » qui ne semble pas inquiéter la direction de l'établissement. Pour l'une des victimes, rien ne changera : « Ici, on laisse les filles se faire opprimer et on ne sanctionne jamais les bourreaux ».

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des concernés

Source : Libération

Au sujet de l'auteur : Pauline Masotta

Journaliste