Vingt ans après avoir été oubliée et abandonnée, une vieille expérience de reboisement finit par porter ses fruits

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Parfois, il faut du temps avant de se rendre compte de tout le potentiel génial d'une idée... beaucoup de temps. Au Costa Rica, un projet expérimental et audacieux de conservation, qui fut abandonné et longtemps oublié, a fini par porter ses fruits... plus de deux décennies après. 

Dans les années 1990, deux chercheurs de l'Université de Princeton (États-Unis), Daniel Janzen et Winnie Hallwachs, imaginent une nouvelle manière de revaloriser des terrains appauvris et désertiques, tout en recyclant les déchets industriels. Les deux écologistes décident alors d'aborder Del Oro, une société productrice de jus de fruits, avec une drôle de proposition : permettre à l'entreprise de déverser gratuitement et légalement tous ses déchets végétaux dans une zone de pâturage totalement stérile du parc national de Guanacaste.

L'objectif était de laisser une masse importante de pelures d'orange se dégrader dans la nature, afin d'enrichir les sols fortement appauvris. Bref, une sorte de compost géant, à échelle industrielle, permettant d'enrichir et de reboiser de vastes zones.

Daniel Janzen/ Winnie Hallwachs/ Restoration Ecology

L'entreprise Del Oro accepte l'idée avec enthousiasme : après tout, ça ne coûte rien, c'est une action écologique positive, et en plus cela permet de réduire les coûts de traitement des déchets, bref tout le monde y gagne ! En échange de ce droit à disposer de ses déchets sans frais, Del Oro devait simplement faire don au Parc National d’une partie de ses terres limitrophes à la zone de conservation : une affaire en or, pour les deux parties.

Concrètement, l'équivalent de 1000 camions de déchets de peau d'orange est déversé dans une zone dégradée du parc national de Guanacaste, soit plus de 12 000 tonnes de matière végétale extrêmement concentrée et riche en nutriments. Ce bombardement soudain de matière bourrée de nutriments a eu un effet impressionnant et quasi-immédiat sur la fertilité de la terre : au bout de six mois seulement, les premières couches de peaux d'orange commençaient déjà à se transformer en un bon terreau bien noir, riche, humide et tendre.

Mais voilà : malgré ces débuts extrêmement prometteurs, le beau projet tourne rapidement au vinaigre, lorsque TicoFruit, une autre entreprise productrice de jus de fruits (et concurrent direct de Del Oro), entame des poursuites en justice. Selon TicoFruit, la société rivale était en train de « polluer un parc naturel national » et sa manière de traiter les déchets relevait de la concurrence déloyale. 

Daniel Janzen/ Winnie Hallwachs/ Restoration Ecology

La Cour suprême du Costa Rica finit par trancher... en la faveur de TicoFruit : la justice force les écologistes à avorter le projet, et à arrêter immédiatement tous les dépôts de pelures d'oranges. Del Oro reprend les méthodes classiques d'élimination de déchets, et le site est complètement oublié pendant les 15 années suivantes... avec ses monticules d'épluchures.

En 2013, dans le cadre de ses recherches, un autre chercheur de l'université de Princeton nommé Timothy Treuer décide de se rendre sur les lieux afin d'analyser le sol, par curiosité. Et là, immense surprise : impossible de retrouver l'endroit, étant donné que le paysage désertique avait été totalement transformé et qu'une jungle luxuriante et totalement incontrôlable avait pris possession du territoire ! Il ne faudra pas moins de deux voyages avant que Treuer ne finisse par retrouver ce qui n'était auparavant qu'un désert aride, et qui est devenu une forêt dense.

En comparant le site à une zone de contrôle qui n’avait pas été traitée avec des peaux d’orange, Treuer et son équipe ont découvert que ce compost expérimental avait donné un sol infiniment plus riche, une biomasse accrue de manière phénoménale, ainsi qu'une grande diversité d'espèces en conséquence. Notamment, ils ont découvert que sur les épluchures d'oranges avait poussé un figuier absolument énorme : l'arbre était tellement gros, qu'il ne fallait pas moins de trois personnes bout à bout pour réussir à entourer de leurs bras la circonférence de son tronc !

Daniel Janzen/ Winnie Hallwachs/ Restoration Ecology

Pourquoi et comment le simple empilement de peaux d'orange a-t-il réussi à produire des résultats aussi stupéfiants ? Les chercheurs ne parviennent pas à l'expliquer totalement. Ce qui est sûr, c'est que les nutriments des peaux d'orange, dégradés par les insectes fouisseurs, les lombrics, les champignons et la microfaune, ont été transformés en matière assimilable par une nouvelle génération de plantes, suivant les principes bien connus du compostage. Le reste pourrait s'expliquer, selon les chercheurs, par « une synergie entre la suppression de l’herbe invasive et le rajeunissement des sols fortement dégradés ».

Et voilà comment, en à peine 16 ans et sans rien faire d'autre que d'attendre, on passe d'un désert à une jungle. Il aura suffi de déverser la matière là, et de laisser Dame Nature faire le reste !

On espère en tout cas que, à présent que l'efficacité de la méthode a été prouvée sur le long terme, il y aura des suites... Et que d'autres projets de reboisement et de conservation dans la même veine verront bientôt le jour !


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Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste