Dieudonné choque à nouveau en adressant un courrier à Salah Abdelsam : Est-ce que comprendre est « excuser » ?

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Le très controversé humoriste Dieudonné vient à nouveau de choquer l'opinion publique et de se soumettre au feu des critiques. Il aurait adressé une lettre à Salah Abdelsam, auteur de l'attentat du 13 novembre.

« Nous ne voulons pas parler des actes qui vous sont reprochés. Ce qui nous intéresse est de comprendre votre état d'esprit et les raisons qui vous ont poussé à agir ». Voilà ce que le terroriste aurait pu lire assis dans sa cellule de Fleury Merogis. Mais la lettre a été interceptée avant qu'elle n'arrive à destination selon la Direction de l'Administration pénitentiaire et le juge d'instruction a refusé la demande d'entrevue avec Salah Abdelsam. Maître Gérard Chemla, avocat de plusieurs victimes des attentats du 13 novembre, a déclaré au Parisien qu’il y a « une inversion des valeurs. » Selon lui, « l'humoriste présente le terroriste comme une victime de la société en état de légitime défense. À partir de cette analyse, on peut tout légitimer ».

De son côté, pour l'avocat de Dieudonné, Jacques Verdier, « il ne s'agit pas du tout d'une provocation ni d'une quelconque sympathie pour le terrorisme. Il y a une volonté de comprendre le moteur qui a conduit à ces actes ». Et si l'on ne connaissait pas le personnage qui a eu l'habitude de créer la polémique, notamment en clamant fièrement qu'il se sentait « Charlie Coulibaly », indignant ainsi la France et laissant planer la question de la légitimité de sa notoriété, la question qu'il se pose est somme toute recevable.

En effet, comme le rappelle Marcel Gauchet, historien et philosophe, « pour bien combattre un adversaire, il faut le connaître. C’est le moyen de mobiliser les esprits et de donner une efficacité à l’action publique. »

Comprendre, est-ce « excuser » ?

Pour Manuel Valls, aucun doute, essayer de comprendre les motivations du terrorisme tend à excuser les terroristes. Un « déni de savoir » qui avait été largement pointé du doigt par nombre d'intellectuels, sociologues et chercheurs. En effet, l'ancien Premier ministre avait déclaré lors de la commémoration de l'attaque antisémite de l'Hyper Cacher que « pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs compatriotes, qui déchirent ce contrat qui nous unit, il ne peut y avoir aucune explication qui vaille  ; car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ».

Ce n'était pas la première fois que M. Valls exprimait un total rejet face au besoin de comprendre les violences contemporaines qui rongent le pays mais aussi le monde entier : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques à ce qu’il s’est passé » avait-il déclaré au Sénat. Cette réaction de rejet, l'ancien chef du gouvernement la partage avec grand nombre de citoyens français qui peinent à intégrer la notion de compréhension — qui n'a pas pourtant pas de rapport direct avec le fait d'excuser.

Pourquoi impute-t-on à la sociologie la culture de l'excuse ?

En supprimant totalement Dieudonné du cadre et du débat pour y impliquer les chercheurs et sociologues, une évidence saute aux yeux : leur travail de recherche est retiré de leur fonction première, c’est-à-dire, comprendre les causes pour en devancer les effets. Pourquoi ? Simplifier ces efforts intellectuels en culture d'excuse. Un rôle que les sociologues et chercheurs ne se plaisent guère à endosser et qu'ils tentent de contrer en rappelant aux personnes qui se complaisent dans cet exercice que cela consiste, aussi, à se complaire dans une espèce de déni intellectuel.

Alain Fuchs, professeur d'université et chimiste, rappelle que « les enseignements des sciences sociales sont la meilleure façon de lutter efficacement contre toutes les formes de terrorisme. Leurs analyses et explications proposées par les chercheurs qui se consacrent à ce domaine sont essentielles à cet égard. Connaître les causes d’une menace est la première condition pour s’en protéger, » ajoute-t-il.

La peur de froisser l'opinion publique

L'explication des comportements violents et du terrorisme traduit l'usage de la rationalité au détriment de l'affect. Comme si la théorie ne découlait d'aucune pratique… Or, si ces questions se posent aujourd'hui, c'est bien que les événements nous y contraignent. Et pour pouvoir neutraliser la menace, il convient d'être tout à fait à même de ne pas laisser son affect intervenir. Alors, les citoyens, victimes de ces attentats, de près ou de loin, se sentent engoncés dans une logique qui consiste à s'autocensurer de peur de ne froisser ses proches ou même de se rendre compte d'une vérité. En l'occurrence, la société est-elle l'un des maux du terrorisme et si oui, dans quelles mesures ? Il paraît plus simple de fermer les yeux et de condamner, à raison, des actes de barbarie sans vouloir en connaître la toute première source.

Mais si l'on suivait cette logique consistant à condamner sans chercher à comprendre, il n'existerait pas de moyens pour favoriser notre émancipation intellectuelle et donc éviter toujours davantage la soumission de l'homme. Outre le fait d'expliquer un comportement terroriste, l'exercice périlleux de comprendre et non de justifier consiste également à prévenir les plus jeunes qui pourraient se radicaliser. Mais comment le savoir si l'on ne parvient pas à comprendre pourquoi tel ou tel jeune montre des capacités à se radicaliser ? Impossible. Ne pas vouloir comprendre reviendrait finalement à se dire qu'il vaudrait mieux se débarrasser, supprimer, tuer les terroristes en les déshumanisant, ce qui permet il est vrai de régler plus simplement le problème.

Pour Bernard Lahire, sociologue, dénoncer la culture de l'excuse revient à rompre « avec l’esprit des Lumières, qui est pourtant au fondement de notre système scolaire, de l’école primaire à l’université  : doit-on demander aux professeurs d’histoire et de géographie, de sciences économiques et sociales ou de philosophie de cesser de mettre en question les évidences, de cesser d’argumenter, d’expliquer et de transmettre les connaissances accumulées sur la société  ? À écouter certains de nos responsables politiques, on pourrait en déduire qu’une démocratie a besoin de policiers, de militaires, d’entrepreneurs et de professeurs de morale mais en aucun cas de savants. Ceux qui sont censés nous gouverner ont bien du mal à se gouverner eux-mêmes. Du calme et de la raison  : voilà ce dont nous aurions besoin. »

« Comprendre, c’est précisément restituer, pénétrer l’intentionnalité des acteurs. Empathie ne veut pas dire sympathie. Dire qu’expliquer, c’est en partie excuser équivaut à dire qu’il ne faut surtout pas chercher à comprendre. C’est faire des jihadistes des bêtes féroces, ou alors des fous. Cette seconde hypothèse existe en partie. J’ai d’ailleurs souligné les fragilités mentales de certains. Pour les autres, il ne reste que la première, celle des bêtes féroces, qui consiste à souligner leur inhumanité et dire 'on les tue'. » a écrit Farhad Khosrokhavar dans son ouvrage « Le djihadisme. Le comprendre pour mieux le combattre ».

La liberté de se poser des questions

Eeffectivement, la légitimité de Dieudonné quant au fait de se questionner sur ce qu'a poussé Salah Abdelsam à agir est pour le moins discutable, ainsi que le fait de prendre la liberté de s'adresser directement à un terroriste, coupable de la mort de plus de cent personnes. Mais il semble tout de même évident que l'on ne peut interdire à une personne de vouloir prendre du recul sur la société et ses démons, que ce soit pour un exercice professionnel ou personnel...

À voir si l'humoriste Dieudonné possède effectivement la sincérité et le recul nécessaire pour satisfaire de telles aspirations, ou si son ambition d'écrire un livre sur les causes du terrorisme ne lui servira que de prétexte facile au scandale.

Source : L'Express

Au sujet de l'auteur : Pauline Masotta

Journaliste