En Australie, des rapaces « pyromanes » ont réussi à domestiquer le feu pour chasser : un rapport scientifique confirme d'anciennes légendes Aborigènes

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En Australie, des rapaces ayant appris à maîtriser le feu, ravagent le bush en enflammant volontairement des broussailles pour propager des incendies, affirment des scientifiques. Jusqu'à présent, ce comportement mystérieux et relativement unique dans le monde animal était considéré comme une antique légende aborigène, tirant davantage du folklore populaire que de la réalité.

Et pourtant, non seulement les chercheurs ont réussi à prouver que ces histoires d'oiseaux pyromanes étaient bel et bien fondées, mais ils ont aussi donné une explication de ce phénomène ! 

DR

Si l'hémisphère nord est actuellement plongé dans l'hiver, le sud de la planète est actuellement en plein été austral. Et c'est la canicule en Australie, qui connaît en ce moment des vagues de chaleur historiques : en janvier, la ville de Sydney a ainsi enregistré la journée la plus chaude depuis 1939.

Conséquence de cette chaleur écrasante et de la sécheresse qu'elle provoque, le pays a été la proie des flammes, et a connu de très nombreux feux de brousse : dans les États de Victoria et d'Australie-Méridionale, 8000 hectares de forêts et de terres agricoles se sont embrasés, forçant certains habitants à fuir.

Dans ces conditions, imaginez que les rangers chargés de maîtriser ces incendies, doivent en plus être confrontés à des meutes d'oiseaux voleurs de feu, qui, tel Prométhée descendant du ciel sa torche à la main, fondraient sur les plaines en y lâchant des tisons enflammés ! 

On les appelle localement les « firehawks », c'est-à-dire les faucons de feu. Ces oiseaux mythiques, connus et redoutés des aborigènes, portent des bâtons enflammés dans leurs serres et dans leurs becs : ce sont eux qui font naître les incendies, et qui les propagent.

Bien entendu, ces étranges histoires transmises de génération en génération n'ont jamais été prises au sérieux par les biologistes. Certes, disent-ils, il est vrai que les petits rapaces sont nombreux à se masser autour des feux de brousse, où ils se gavent d'insectes délogés des hautes herbes par les flammes et la fumée... mais de là à en être directement la cause ? 

Et pourtant, une étude publiée par des chercheurs dans le Journal of Ethnobiology suggère que les oiseaux propageant volontairement les incendies existent bel et bien ! En tout, ce sont trois espèces qui seraient concernées : le milan noir (Milvus migrans), le milan siffleur (Haliastur sphenurus) ainsi que le faucon brun (Falco berigora).

Un phénomène déjà connu depuis des millénaires par les aborigènes

Si les histoires d'oiseaux incendiaires peuvent nous paraître incroyables, elles surprennent beaucoup moins les habitants du bush, qui sont nombreux à relater de tels phénomènes. Dans leur papier, les chercheurs expliquent que « les rangers aborigènes et autres personnes qui font face aux feux de brousse prennent déjà en compte les risques posés par ces rapaces » qui font que, de manière inexplicable, « des incendies pourtant maîtrisés peuvent traverser les pares-feux mis en place [par les forestiers] ».

Mais le scepticisme officiel au sujet de la réalité de la diffusion d'incendies par des oiseaux a toujours, jusqu'à présent, empêché la mise en place d'efforts concrets pour lutter contre ce phénomène, dénoncent les scientifiques. En travaillant main dans la main avec des forestiers et des aborigènes, ils se sont attachés à prouver la véracité de ces observations.

« Nous n'avons rien découvert, » explique avec humilité le géographe Mark Bonta au magazine National Geographic. « La majeure partie des données avec lesquelles nous avons travaillé était obtenue en collaboration avec les Aborigènes... Ils savent déjà cela depuis probablement 40 000 ans, ou peut-être même davantage. »


Le feu pour arme de chasse

Selon les chercheurs, les oiseaux désignés sous le terme générique de « faucons de feu » regroupent en fait trois espèces de rapaces : le milan noir, le milan siffleur et le faucon brun. Les trois espèces ont été vus adopter des comportements assez similaires en présence d'incendies : ils affluent par nuées de plusieurs centaines d'individus, tout près du cœur du brasier, afin de se gaver d'insectes, mais aussi de petits reptiles et de mammifères délogés des herbes par la fumée ou par la chaleur des flammes.

Mais les oiseaux ne font pas que profiter passivement des incendies : les chercheurs pensent qu'ils utilisent et contrôlent le feu comme un outil, n'hésitant pas à récupérer des branches ou des tisons afin de charrier les braises, parfois à plus d'un kilomètre, dans les endroits pas encore atteints par les flammes !

« Ce qu'on pense, c'est que ces rapaces essayent d'étendre le feu à des endroits encore non-atteints — par exemple, l'autre côté d'un cours d'eau, d'une route, ou encore un pare-feu artificiel créé par les pompiers — pour rabattre leurs proies avec les flammes ou la fumée », expliquent les chercheurs dans l'article.

Les chercheurs ont effectivement pu observer et documenter des scènes de chasse au cours desquelles des proies fuyaient des murs de flammes, et tombaient droit dans le groupe de rapaces qui les attendaient. Ces rapaces sont également des charognards, ce qui signifie qu'outre les animaux fuyant les flammes, ils peuvent également se nourrir des petits  mammifères et autres animaux victimes de l'incendie, une fois les flammes apaisées !

Pour les chercheurs, il est évident que le comportement des oiseaux n'est pas accidentel, d'abord parce qu'ils semblent très organisés à la manière d'autres animaux habitués à la chasse de groupe, mais aussi parce qu'il semble peu probable qu'un oiseau s'empare d'une branche avec des braises actives sans s'en rendre compte, puisque les animaux ont normalement tendance à craindre le feu et à s'en éloigner.

Si l'hypothèse de ces scientifiques est confirmée, cela ferait de ces oiseaux les seuls animaux, outre l'être humain, à avoir apprivoisé le feu et à s'en servir comme d'un outil ! Certes, les « faucons de feu » ne sont pas capables de faire un feu à partir de rien, mais ce comportement témoigne tout de même d'une grande intelligence. Et cela met aussi à mal, au passage, la conception communément établie selon laquelle l'utilisation du feu serait le propre de l'homme...


Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste