Lettre à la France

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Bonjour France !


Je crois qu'on ne s'est jamais vraiment parlé. À l’école, tu t’adressais à moi mais je n'en avais pas vraiment conscience. Depuis, tu m'envoies quelques courriers, quelques mails mais à part ça pas grand-chose.


Tu veilles à assurer que je paye bien mon dû pour me permettre de vivre chez toi en toute quiétude. Rien de plus normal... Certains disent que tu es susceptible de me surveiller,  à l'insu de mon plein gré, probablement pour me protéger. Honnêtement, je ne sais pas quoi en penser... Je dois l'admettre, de manière générale, tu n'occupes pas beaucoup mes pensées.


Dans sa globalité, c'est plutôt pas mal de vivre chez toi, parmi des millions d’autres résidents provenant de tous les horizons. Hélas, souvent ma conscience me rappelle que je jouis aujourd'hui du privilège d'avoir vu le jour sur ton sol, ça m'a sûrement facilité la vie. Mes yeux ont souvent observé que d'autres ne bénéficiaient pas d'un traitement aussi clément. Il semblerait que, dans le passé, t'aies eu des envies de grandeur qui t’ont un peu dépassé.


Tu as voulu te répandre, de façon assez brutale, chez d'autres, t'y installant pendant quelques siècles. T'as vraiment pas fait semblant et aujourd'hui, tu souffres encore de ça...


Tu as attisé la jalousie de l'une de tes voisines. Elle a voulu s'installer chez toi, n'est pas restée très longtemps, mais assez longtemps pour choquer le monde. Et encore aujourd'hui, tu souffres de ça...


Je n'étais pas encore là, mes procréateurs non plus. Du coup, ça me paraît assez lointain, mais en même temps si récent, parce que ta souffrance, je la ressens. Certains te haïssent et s'efforcent à te meurtrir tandis que d'autres prétendent t'adorer à en perdre raison, à la limite d'une nostalgie effroyable. Il y en a qui ne croient plus vraiment en ta bienveillance et il y en a qui nourrissent encore beaucoup d'espoir pour toi. Enfin, j'ai pu réaliser, un certain 11 janvier, qu'une grande majorité des résidents t'aimait du plus profond de leur cœur, et savait s'unir, malgré leurs différences, quand tu étais vraiment mal en point. 


J'ai appris à travers les différences, avec humilité et enthousiasme. J'ai compris à travers les belligérances, avec civilité et l'âme en paix.


Si, généralement, je me contente d'une relation quelconque avec toi, il peut m'arriver de me sentir concerné par ce qu'il t'arrive. Spécialement, ces derniers temps, je vois de plus en plus de résidents débattre sur ton avenir. J’entends beaucoup de bien, j’entends beaucoup de mal. Comme tous les cinq ans, on doit décider du résident suprême qui devra s'occuper de toi, et te représenter. Autrement dit, celui ou celle qui devra s'occuper de nous, et nous représenter.


Au début de la campagne, il y avait onze candidats en lice. Certains nous semblaient sympathiques, d'autres moins. Aujourd'hui, ils ne sont plus que deux et quasiment tout les oppose !


Il y a le petit jeune, invité surprise, désireux de brûler les étapes et qui semble avoir les faveurs d'une majorité des résidents. Enfin, majorité, c'est une façon de parler... Et il y a la dame belliqueuse, perchée sur son extrême droite, qui n'en est pas à son premier essai et dont l'ambition semble plus héréditaire qu'intellectuelle. De plus en plus de résidents l’écoutent, la suivent, et cela me chagrine…


J'aimerais tellement qu'on puisse avoir une résidente suprême un jour, juste pour changer... Un jour peut-être, mais pas maintenant, pas celle-là !


Le petit jeune a l'air très motivé mais fera-t-il l'affaire pour s'occuper de toi ? Honnêtement, je n'en sais rien. Il faut dire que son parrain, résident suprême en titre, s’est attiré les foudres d’une majorité de la résidence durant son mandat. Mais bon, ce dont je suis sûr, c'est que le petit jeune continuera de me laisser écrire en totale liberté.


Il me laissera le critiquer ouvertement, en bas de sa fenêtre ou à travers ma plume, sans que je craigne une quelconque sanction. Il me laissera le choix de débattre avec d'autres résidents, de travailler avec eux et aussi de m'amuser avec eux. Il me laissera l'opportunité de découvrir d'autres cultures, d'apprendre d'autres langues, d'adhérer à n'importe quelle religion. Il me laissera sortir de chez toi, et puis rentrer, quand bon me semblera. Je ne dis pas que chez toi c’est le paradis, loin de là, mais c‘est quand même mieux qu’ailleurs.


Seulement voilà, aujourd’hui, ton destin ne repose pas entre les mains du prochain résident suprême, mais d’abord entre celles de tes résidents qui vont voter. Et le problème, c’est que nous ne partageons pas la même opinion, le même intérêt, concernant ton avenir.


Environ 20 à 30% d’entre eux ne prendront même pas la peine de se prononcer, comme si tout cela ne les concernait pas. D’autres iront se prononcer mais sans réellement choisir. Le problème c’est que ces deux groupes de résidents, étant donné qu’ils ne choisissent pas, tu ne les prends même pas en considération quand arrive l’heure de compter les voix. Et ça pourrait t’être préjudiciable (ce ne serait pas la première fois), dans un avenir proche ou lointain.


À l’heure où j’écris ces lignes, près de 60% des résidents qui comptent réellement choisir sont favorables pour élire le petit jeune, soit par conviction, soit par défaut. Près de 40% songent à élire la dame belliqueuse. C’est déjà beaucoup trop pour elle, ça lui donne énormément de crédit alors que moi, quand je l’écoute, je n’entends que du bruit…


France, si tu pouvais donner ma lettre à tous les résidents s’il te plaît, surtout aux indécis, ceux qui n’ont pas encore fait leur choix ou qui ne veulent tout simplement pas choisir, ce serait plutôt sympa. Certains l’ignoreront sûrement, d’autres la déchireront probablement et il y en aura qui vont peut-être s’en émouvoir. Si elle réussit à convaincre quelques indécis de bien voter, même par défaut, je m’en accommoderais volontiers.


Humblement vôtre,


Un résident parmi des millions


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Au sujet de l'auteur : Jérémy Birien

Journaliste, rédacteur en chef