Sanctionner davantage les « chômeurs fraudeurs » : pourquoi l'idée fait grincer des dents ?

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Muriel Pénicaud, Ministre du travail, a confirmé jeudi 4 janvier sur France Inter que le gouvernement compte « renforcer les sanctions à l'encontre des chômeurs fraudeurs et remettre de l'ordre dans tout ça ». Mais, concrètement, « tout ça », c'est quoi ? 

AFP

Nous en évoquions déjà la possibilité  il y a quelques jours : la Ministre n'a pas renoncé à l'idée de sanctionner davantage les chômeurs qui se complairaient dans cette situation où l'inactivité fait partie intégrante de leur quotidien. Pour rappel, à ce jour, en cas de recherche d’emploi insuffisante ou de refus de formation, un chômeur peut déjà voir son allocation réduite de 20% pendant deux à six mois.

« Pour les fraudeurs, aujourd'hui il y a plusieurs types de sanctions et c'est un peu étrange : si vous ne vous rendez pas à une convocation, vous pouvez être suspendu pendant deux mois et par contre, si vous ne cherchez pas de travail, vous pouvez être suspendu pendant quinze jours, a-t-elle déclaré. Donc, on va remettre de l'ordre dans tout ça pour que cela soit plus logique, plus cohérent »,

Relancée sur l'échelle des nouvelles sanctions, elle a indiqué : « Il faudra renforcer les sanctions, et que la main ne tremble pas pour les fraudeurs [...] J'ai demandé aux partenaires sociaux de réfléchir et j'attends leurs propositions pour début février ». Avant de conclure qu'il faudrait encore « discuter des critères ».

Quatre cent mille emplois non pourvus et abandonnés : ce sont les récents chiffres du chômage. Un chiffre qui est en partie avancé pour justifier cette mesure, qui vise à sanctionner plus durement les chômeurs qui ne rechercheraient pas "suffisamment" du travail. Ce même chiffre soulève bien des débats, et ravive des discours réchauffés quant à la situation des demandeurs d'emploi. L'animateur Jean-Marc Morandini, se demandait d'ailleurs si « les chômeurs veulent vraiment travailler ? ». Une belle occasion de lui répondre par l'affirmative.

Les raisons des offres non pourvues

Effectivement, comme  le fait justement remarquer Jean-Marc Morandini, des annonces non pourvues il en existe. Mais alors, pourquoi ne pas plutôt se pencher sur les raisons pour lesquelles si peu de personnes répondent positivement à certaines de ces offres ? Si l'on ne se cantonne pas aux justifications hasardeuses et à l'exercice qui consiste à simplifier le problème par un douteux « ils sont fainéants », on peut s'apercevoir que les chômeurs qui ne répondent pas aux annonces veulent bien souvent en réalité travailler, mieux et davantage.

Et si l'on s'attarde sur certaines de ces annonces, on peut comprendre que les chômeurs puissent faire preuve d'un peu plus d'exigence. Des salaires nettement en deçà des compétences du chercheur d'emploi mais aussi des compétences requises, offres qui ne correspond pas à l'annonce et offre de contrat à courte durée, par exemple. À cet effet, Le Monde Diplomatique a publié un article à l'initiative de Hadrien Clouet, Doctorant au Centre de Sociologie des Organisations, et a épluché les annonces de Pôle Emploi. Et, bien souvent, les offres récurrentes s'apparentent à de l'intérim ou à des missions de courtes durées mal payées. « Nettoyage industriel, 1 heure par semaine, 9,75 euros l’heure » ou « aide ménager(e), 2 heures par semaine, 11 euros l’heure », peut-on lire sur les annonces relevées par le quotidien. Pas vraiment de quoi provoquer l'euphorie et l'enthousiasme chez quelqu'un qui cherche à retrouver un emploi durable.

Enfin, preuve que les chômeurs ne sont pas si "fainéants" que cela : 98% des propositions de pôle emploi trouvent preneur, ce qui permet de relativiser quelque peu le mythe de ce fameux gisement caché d'emplois non-pourvus.

La mobilité, motif de refus

Dans une étude menée par Régis Bigot et Sandra Hoiban, du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) et intitulée « la mobilité professionnelle bridée par les problèmes de logements », il est rendu compte d'un autre problème récurrent et peu isolé : le refus de trouver un autre logement pour répondre aux besoins de mobilité de l'offre.

En effet, « 11% des chômeurs ou des actifs en recherche d’emploi ont effectivement renoncé, au cours des cinq dernières années, à un emploi pour éviter un déménagement qui aurait pu occasionner un surcoût financier. »

Plus précisément et si nous voulions poser des chiffres sur ce constat, sur les «4,6 milions de personnes aujourd’hui inscrites à Pôle Emploi, on peut estimer que près de 500 000 auraient renoncé à un poste au cours des cinq dernières années pour cette raison.» A cela s'ajoutent les exigences quant au temps de transport qui peut s'avérer être une véritable perte de temps et d'argent. En ce sens, l'étude déclare que 12% des personnes en recherche d’emploi ont renoncé à un poste nécessitant un temps de transport trop important.

Selon Hadrien Clouet, «assimiler les bénéficiaires de droits sociaux à des paresseux ou à des fraudeurs en puissance conduit une partie significative d’entre eux à ne pas faire valoir leurs droits.» Aussi, il semble nécessaire de rappeler que le montant des droits non perçus excède très largement la fraude sociale alors que la fraude à Pôle emploi, de son côté, ne constitue que 0,84 % de l’ensemble de la fraude...

La volonté de vouloir réduire le chômage, qu'affiche la Ministre du travail Muriel Pénicaud pour justifier l'établissement de se sanctions anti-chômeurs , est bien entendu fort louable... mais peut-être serait-il, finalement, beaucoup plus efficace de s'attaquer aux causes réelles du chômage, plutôt qu'aux chômeurs eux-mêmes.

Source : CREDOC
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Au sujet de l'auteur : Pauline Masotta

Journaliste