Au pied de leur immeuble, en plein Paris, des habitants ont mis en place une véritable ferme miniature

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Jardiner en plein cœur de Paris : un privilège réservé aux seuls propriétaires de villas ? Détrompez-vous : il y a, au 107 rue de Reuilly, dans le douzième arrondissement de la capitale, une petite pépite qui vaut son pesant de courgettes. Car dans cette résidence HLM, tout le monde jardine ensemble… au pied de l'immeuble !

Mais comment un tel miracle est-il possible ? Tout remonte à 2007, lorsqu'un des locataires de la résidence, se lance dans un projet un peu fou : motiver ses voisins pour mettre en place un compost collectif en pied d'immeuble, pour compléter le tri sélectif du local poubelle. En toquant aux portes, en affichant des messages dans les espaces communs, il finit par y parvenir. Eh oui : un bon tiers des ordures ménagères d'un ménage moyen pourrait être converti, grâce à un équipement adapté, en bon terreau bien frais pour les plantes ! Chaque année, 8 tonnes de déchets sont ainsi converties en un compost d'excellente qualité, rue de Reuilly, grâce aux 80 foyers qui ont répondu présent à l'appel.

Notre homme, reconverti en "maître composteur", ne s'arrête pas là. Devant le succès de l'opération, et à l'aide de ses voisins, il décide de revoir ses ambitions à la hausse et de créer un véritable jardin collectif. Pour cela, il compte donner une nouvelle vie à un espace vert, laissé en friche et une ancienne aire de jeux démontée, en bien triste état. Revaloriser cet endroit abandonné et le transformer en potager pour tous les habitants : une idée saugrenue, et pourtant, l'association des locataires et le bailleur social Paris Habitat donnent finalement leur accord !

Résultat : un potager partagé, des espaces collectifs en "libre-service", quatre ruches (dont une seule habitée pour l'instant), un poulailler, un verger. Pourtant, en voyant la façade extérieure, difficile de deviner que cette résidence a été transformée en une microferme urbaine.

Google Street view / Capture d'écran

Vu de l'extérieur, le 107 rue de Reuilly ressemble à n'importe quel autre bâtiment de la rue : des grilles, une conciergerie, une petite cour et enfin, un bloc d'immeubles en forme de U. Aucun moyen de deviner qu'à l'intérieur, on s'y livre à une fascinante expérience en matière d'agriculture urbaine et de partage. Tout au plus, le pied d'arbre végétalisé sur lequel finissent de rougir quelques tomates cerise pourrait-il, peut-être, donner l'alerte à un observateur averti… et encore : dans l'est parisien, ces permis de planter dans l'espace public accordé par la mairie ne sont plus vraiment rares.

On longe le bâtiment en passant sous des arcades, jusqu'à tomber sur un passage peinturluré de toutes les couleurs : « Santerre, mais pas sans cœur ». Santerre, en un seul mot, c'est le nom du jardin qui se cache au bout.

Référence à Antoine-Joseph Santerre, général de division et fameux révolutionnaire français, originaire du quartier : « C'est aussi un jeu de mots avec le fait qu'au début, on n'avait pas beaucoup de terre », explique Jean-Jacques Fasquel, le patron des lieux. « Et bien sûr, c'est aussi parce que ce qu'on fait ici, c'est un peu une révolution. »

Révolution, n'ayons pas peur des mots : si certains appellent « green guérilla » le fait de semer des graines dans les rues de manière sauvage afin de se réapproprier l'espace public, ce qu'a accompli Jean-Jacques Fasquel s'apparente à une véritable prise de la Bastille. En 2008, il fait partie des premiers pionniers à se lancer dans la végétalisation des pieds d'immeubles dans la capitale. En réunissant ses voisins, en fédérant les habitants de son HLM autour d'un projet commun, il est parvenu à obtenir l'aval de la Mairie de Paris et du bailleur social Paris Habitat, pour transformer un espace vert désaffecté en un véritable potager collectif au bénéfice de tous.

Nathan Weber / Demotivateur

Et c'est, il faut bien le dire, une réussite. Une fois que l'on franchit le pas de son petit Eden, on change immédiatement d'univers : difficile d'imaginer que l'on se trouve en plein cœur de Paris, avec cette végétation buissonnante et ces plates-bandes joyeusement échevelées où poussent, de manière parfaitement hétéroclite, des tomates, des arbres fruitiers, des plantes ornementales, des courges, des oliviers, ou encore des herbes aromatiques entremêlées à de la flore sauvage.

« On a même des hérissons », s'amuse le jardinier-en-chef. Et pour cause : la coulée verte, toute proche, forme un véritable corridor biologique dans l'est de Paris, et la nature profite de nombreux petits îlots végétalisés, à l'instar du jardin Santerre, pour se développer comme elle l'entend.

Nathan Weber/ Demotivateur

Mais les petits mammifères nocturnes ne sont pas les seuls animaux à se plaire au pied de ces immeubles. Outre les nichoirs à oiseaux et les "hôtels à insectes" disséminés un peu partout pour permettre à la faune sauvage de s'abriter,  on trouve aussi des poules… et des abeilles. La résidence a même accueilli, pendant un temps, deux moutons en éco-pâturage, qui broutaient l'herbe des espaces verts de la résidence, remplaçant efficacement la tondeuse à gazon !

Fin septembre, les habitants ont pu récolter pas moins de 13 kg de miel, qu'ils ont pu se partager entre eux. Quant aux poules, chaque jour, les voisins s'en occupent à tour de rôle, leur donnant leurs restes d'assiette en échange des œufs.

Le rucher du jardin Santerre est situé sur une petite colline qui surplombe les espaces collectifs, afin de ne pas risquer de déranger les abeilles

Nathan Weber/ Demotivateur

Les abeilles proviennent d'essaims sauvages récupérés chez des particuliers. Grâce au travail des insectes, les habitants ont pu récolter pas moins de 13 kg de miel cette année !

En 2013, les poules Cocotte, Henriette et Ginger ont été adoptées par la résidence. Depuis, d'autres gallinacées ont rejoint le petit cheptel

Nathan Weber/ Demotivateur

Chaque jour, les voisins ou leurs enfants viennent, à tour de rôle, s'occuper des animaux.

Nathan Weber/ Demotivateur

Un excellent moyen de recycler le reste de son assiette sans gaspiller la nourriture… Et de se voir récompensé en prime de bons œufs bien frais !

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Le potager en lui-même est divisé en plusieurs espaces : d'abord, des parcelles communes et partagées entre tous, où l'on trouve des framboisiers, des plantes aromatiques, et autres végétaux qui peuvent être glanés par tous ceux qui le veulent, pour garnir un peu leur assiette.

Ensuite, l'espace central est divisé en différents petits lopins, sur le modèle des jardins collectifs. N'importe quelle personne le souhaitant peut s'en approprier une pour cultiver ce qu'il veut dessus, pourvu qu'il respecte un minimum de règles communes : utiliser des techniques de jardinage respectueuses, pas d'agrotoxiques, pas d'intrants chimiques nocifs, et s'engager à s'occuper de sa parcelle.

L'espace potager est divisé entre parcelles collectives et lopins "privés"

Nathan Weber/ Demotivateur

Chacun peut cultiver ses plantes comme il l'entend, tout en respectant le carré du voisin

Nathan Weber/ Demotivateur

Outre les légumes qui poussent au bas de l'immeuble, on trouve aussi des arbres fruitiers !

Oliviers, pêchers, figuiers et autres arbres ont également trouvé leur place dans la résidence du 107 rue de Reuilly. Il s'agit, pour certains d'entre eux, de plantes en pot que des voisins avaient fait pousser sur leur balcon.

Devenus trop grands et se sentant un peu à l'étroit en appartement, un petit olivier et un jeune plant de figuier ont pu finalement regagner la pleine terre, et se développer librement pour devenir les arbres qu'ils aspiraient à être. Quelques années plus tard, les premiers fruits commencent déjà à apparaître !

Nathan Weber/ Demotivateur

Une formidable expérience collective. Mais si le Jardin Santerre a pu devenir ce qu'il est aujourd'hui, c'est avant tout grâce… au compost.

Et pas seulement parce que cet engrais naturel, obtenu grâce à la décomposition des déchets végétaux, a aidé les plantes à pousser : en fait, le compost est à la source même de l'origine du jardin !

C'est grâce à un projet de compost collectif que Jean-Jacques Fasquel a pu rassembler ses voisins et leur donner l'envie de travailler la terre. Tout commence lorsqu'il décide, avec l'accord du bailleur social Paris Habitat, de rajouter un nouveau container au local poubelle. En effet, si dans la plupart des immeubles on recycle les emballages et le verre, il faut savoir qu'une bonne partie de nos déchets ménagers (un tiers, pour être exact) est composée de matière organique qui pourrait, elle aussi, être recyclée.

En partant de ce constat, Jean-Jacques est allé toquer à toutes les portes, afin de proposer à ses voisins de faire un compost collectif pour recycler les déchets. Bingo : non seulement cela fonctionne, mais ce projet commence à créer du lien entre les gens. Alors, il décide de lancer la seconde phase de son plan, et de motiver ses voisins pour transformer l'aire de jeux pour enfants abandonnée en un jardin potager partagé, afin de pouvoir utiliser le compost fabriqué directement sur place. Finalement, les propriétaires du bâtiment donnent leur accord !

Aujourd'hui, Jean-Jacques a laissé derrière lui son passé de directeur commercial et s'est reconverti en "maître composteur". Il donne des cours, des conférences, et apporte son expertise et ses précieux conseils aux collectivités afin de recycler au mieux les déchets verts.

Nathan Weber/ Demotivateur

Une manière de créer du lien

Aujourd'hui, le jardin créé par Jean-Jacques et ses voisins est un lieu de vie, de partage et d'échange, au sein duquel les gens ont pris l'habitude de se retrouver. Alors que dans les grandes villes comme Paris, des personnes peuvent vivre côte à côte pendant dix ans en partageant le même pallier et se dire à peine bonjour, ici, tout le monde se retrouve au pied de l'immeuble.

On jardine, on plante et on récolte ensemble, et lorsque l'on va ramasser les cadres des ruches ou que l'on fait la récolte d'automne au potager, c'est une occasion comme une autre pour se retrouver et achever la soirée de manière festive.

Nathan Weber/ Demotivateur

Voilà qui devrait nous inspirer. En tout cas, cela montre que tout est possible avec un peu de volonté, lorsqu'on travaille ensemble, et que l'on peut transformer l'espace qui nous entoure pour apporter du mieux dans sa vie et dans celle des autres.

Espérons que cela motivera les habitants d'autres résidences urbaines à aller à la rencontre de leurs voisins, et à tenter ce genre de projet ! Avec les projets de végétalisation, sauvages ou encadrés par la mairie, il s'agit d'excellents moyens de se réapproprier l'espace et d'inviter la nature au milieu du bitume.


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Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste