Il y a quatre ans, Noelle Hancock publiait son premier livre. Installée à New York après avoir étudié à la prestigieuse université de Yale, elle est devenue journaliste pour le New York Observer où elle gagnait un très bon salaire, 95,000$ par an. Un début de carrière prometteur, qui pourrait faire envie à beaucoup de monde… et pourtant, à 31 ans, elle a décidé de tout plaquer et de laisser tout son petit confort derrière elle.
Dans une contribution au magazine américain Cosmopolitan, elle explique pourquoi elle a abandonné un travail pourtant très bien payé, pour vivre une vie simple sur cette petite île plantée entre la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique.
« New York est une ville de compétition. Si vous voulez y vivre, vous êtes obligé de passer la majeure partie de votre temps à travailler dur » , écrit-elle. « Et le problème, quand on vit au milieu de tous ces gens si ambitieux, c’est qu’ils sont souvent débordés et ne vivent que pour le travail.
Parfois je ne voyais pas mes amis les plus proches pendant des mois. […] C’est un peu ironique de se sentir si seule sur une île où vivent 4 million de personnes (Manhattan, ndlr), mais j’avais l’impression de vivre ma vie entière en train de fixer un écran : ordi portable, téléphone, iPad — bon dieu, même les taxis et les ascenseurs avaient la télé. Je me sentais stressée, pas inspirée, déconnectée. »
Mais un jour, Noelle Hancock est prise d’un doute. Cette vie, cette carrière florissante pour laquelle elle a étudié depuis tant d’années, est-ce vraiment ce qui lui correspond réellement, en tant qu’humain ? Est-ce vraiment ce qu’elle souhaitait, depuis toujours, au fond d’elle-même ?
« ‘ J’ai besoin de vacances. ’ C’était un refrain permanent, dans ma tête. Je ne vivais pas l’instant présent, et je le savais. Je vivais pour un moment indéterminé, dans le futur, je vivais pour le moment où j’aurais assez de jours de congés et d’argent pour partir voyager quelque part. Si vous pensez constamment que vous avez besoin de prendre des vacances, peut-être que ce dont vous avez réellement besoin c’est d’une nouvelle vie. Mais je me complaisais là-dedans : ma vie n’était pas satisfaisante, mais elle était confortable.
Un jour, je travaillais sur mon ordinateur, je finissais les dernières retouches sur un livre que je venais de finir d’écrire. Je me suis demandé ce que j’allais faire, maintenant que mon manuscrit était bouclé. J’ai laissé vagabonder mon esprit, trop longtemps sans doute : l’écran de veille de mon ordinateur s’est allumé… une photo de base de données qui représentait un paysage tropical. Voilà enfin quelque chose qui valait la peine de vivre. Ce que je voulais, depuis le début, c’était d’arrêter de vivre devant un écran et de vivre dans cet écran, dans cette photo paradisiaque qui était sur mon ordinateur. Et qu’est-ce qui m’empêchait de faire cela ? »
La jeune femme n’avait pas de petit ami, pas d’obligations mis à part son travail. Et elle s’est rendu compte qu’il suffisait de faire un choix, de faire ce choix là, pour quitter la grisaille new-yorkaise et vivre enfin sa propre aventure, loin des passants pressés et discourtois, du bruit et de la pollution ambiante.
Elle poste d’abord un message sur Facebook, un peu timidement, pour demander des conseils à ses proches. Quelqu’un lui parle alors de St. John, la plus petite des Îles Vierges Américaines. Immédiatement, elle fait expédier son passeport.
« C’était étonnamment simple de déconstruire, de démanteler la vie que j’avais passé une dizaine d’années à construire : J’ai mis un terme au bail de mon appartement, j’ai vendu tout ce qui m’appartenait, et j’ai acheté un aller simple sur le site d’une compagnie aérienne lambda. En fait, le plus dur c’était de me convaincre moi-même que j’avais le droit de faire quelque chose pour aucune autre raison que celle de changer le cours de ma vie.
‘ Mais, tu ne peux pas juste déménager dans un endroit où tu n’as même jamais mis les pieds ! ’ a protesté ma mère.
‘Parfois, il faut juste faire un pas en avant dans le vide, et le filet arrive de lui-même’ ai-je répondu avec beaucoup plus d’assurance dans la voix que ce que j’en avais réellement.
Six mois plus tard, je débarquais du ferry au port de St. John. »
Noelle explique qu’il a été au départ assez difficile pour sa famille d’accepter qu’elle change aussi radicalement son train de vie.
Plutôt conservateurs, ses parents l’ont toujours élevée dans le culte du rêve américain : Travailler dur à l’école, décrocher un bon job avec un plan d’épargne en béton, puis progresser sur l’échiquier social pour s’élever le plus haut possible. Vous imaginez donc à quel point ils étaient stupéfaits et déconcertés quand ils ont appris que leur fille, fraîchement débarquée sur l’île de St. John, était devenue vendeuses de glaces...
« ‘ Mais, mais… Tu as fait Yale,’ m’ont-ils bredouillé. ‘ Et t’as 31 ans ! ’
Peut-être qu’il y avait quelque chose qui s’apparentait au syndrome de Peter Pan dans ma nouvelle vie. Mais la vérité, je dois l’avouer, c’est que j’étais bien plus heureuse en faisant des boules menthe-chocolat pour 10$ de l’heure que quand je me faisais des salaires à 100K$/an en travaillant dans un bureau pour une grosse société.
Il y avait quelque chose de terriblement apaisant dans ce travail. Je rencontrais de nouvelles personnes tous les jours, avec lesquelles je parlais en face-à-face — pas via email ou sms. »
La vie est bien différente sur l’île de St. John que sur l’île de Manhattan. Si elle a changé d’île, Noelle n’est en revanche plus jamais bloquée au feu rouge : il n’en existe tout simplement pas sur St. John. Les seules fois ou elle doit arrêter sa jeep poussiéreuse sur les chemins de terre, c’est pour laisser passer un iguane, un âne, une poule à demi sauvage. Là-bas, personne ne prête attention à la marque du véhicule que vous conduisez. Les maisons ont peut-être parfois des toits branlants, des gouttières éventrées, mais toujours les volets sont grand ouverts. On se douche avec l’eau de pluie, récoltée et filtrée. Et personne n’a d’adresse… de toute façon, tous les habitants de l’île se connaissent !
« Ces derniers temps, je travaille dans un bar, un job que je fais parce que c’est un truc que j’ai toujours voulu essayer.
« Parfois, je repense à cette question qu’on me posait fréquemment dans les entretiens d’embauche : ‘Où vous voyez-vous, dans cinq ans ?’ Cela m’a toujours semblé déprimant, de savoir déjà exactement ce que vous allez faire dans les cinq années futures. Ici, ce n’est pas inhabituel que quelqu’un travaille comme cuistot pendant une saison à St. John, puis qu’il bouge en Thaïlande pour six mois pour donner des cours de plongée, avant de s’envoler pour l’Alaska pour travailler sur un bateau de pêche.
« Vivre à l’étranger m’a appris à avoir une approche radicalement différente de la vie, qui ne consiste pas forcément à s’installer dans un seul endroit pour ne faire qu’un seul travail pour le restant de mes jours.
Peut-être que certaines personnes sont ainsi faites, pour bouger après quelques années, trouver un nouveau job et vivre une multitude de micro-vies différentes. »
Bien sûr, ce choix nécessite de faire une croix sur certaines choses... Noelle explique ainsi qu’elle est parfois prise de nostalgie quand elle voit ses anciens collègues et ses amis qui continuent leurs carrières avec succès. L’un de ses amis de fac, par exemple, a lancé un nouveau site internet, qui s’appelle… Pinterest.
Mais Noelle, elle, a une île. Une petite maison un peu branlante sur une colline, qui regarde la mer. Lorsqu’elle regarde par la fenêtre, elle voit un fond d’écran windows en 3D, une carte postale qui est devenu sa réalité. Et pour elle, cela n’a pas de prix.