"Des experts du climat pris au piège" : la révélation effarante et scandaleuse de Greenpeace, en marge de la Conférence sur le Climat

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La COP21, c’est bientôt terminé. Ce samedi 12 décembre à 14 heures aura (normalement) lieu la signature définitive de l’accord pour le climat entre les 195 pays représentés à la conférence de Paris sur le climat.

La signature était prévue pour aujourd'hui (11 décembre), mais a été repoussée à cause de certains conflits et désaccords. Parmi ceux qui contestent certains points de l'accord, l'Arabie Saoudite, porte-parole des pays pétroliers. Le pays a fait savoir qu'il refuserait la tarification du carbone initialement prévue, et de se retrouver taxée sur ses ventes.

En théorie, cet accord est censé poursuivre le noble but de limiter le réchauffement planétaire. Dans la réalité, de nombreuses personnes, notamment les ONG, crient à la mascarade et à l’arnaque. Pourquoi sont-ils si énervés ?

 

À cause de la forte présence, au sein même de la conférence, des lobbies pétroliers, de pays gouvernés par des rois du pétrole et autres représentants des industriels des combustibles fossiles, qui font pression de l'intérieur pour faire pencher la balance de la COP en leur faveur. Derrière les portes closes, les industriels pèsent de tout leur poids sur le débat et font tout leur possible pour que les accords finaux leur soient favorables. 

 

 

© Red / Cartooning for Peace — Via Greenpeace


Mais alors, est-ce vraiment si facile pour une grande entreprise pétrolière, de fragiliser les négociations en diffusant des études en leur faveur ? Eh bien la réponse, malheureusement, est oui.

 

Pour en avoir le cœur net, l’organisation Greenpeace a tenté de piéger des scientifiques et autres experts renommés, issus d’universités prestigieuses, afin de mettre à l'épreuve leur intégrité face à une tentative de corruption. Pour cela, les militants écologistes se sont mis dans la peau d’un représentant d’une grande entreprise d’énergies fossiles.

Ils leur ont simplement demandé, moyennant rémunération, de publier des rapports scientifiques allant dans leur sens, en toute discrétion bien sûr. « Nous avons voulu savoir si, en amont de la conférence de Paris sur le climat, certains chercheurs du monde académique accepteraient d’être rémunérés pour rédiger et signer des rapports susceptibles de servir les intérêts d’industriels des fossiles — et ce, en acceptant de cacher leur financement », explique Ben Stewart, directeur des médias à Greenpeace Royaume-Uni, pour le quotidien Le Monde.

 

Et l’étonnante facilité avec laquelle les (faux) pétroliers sont parvenus à leurs fins fait vraiment froid dans le dos…

 


Pendant six mois, certains membres du bureau anglais de Greenpeace ont mené une enquête poussée sur le travail académique autour des énergies fossiles. Pour ce faire, ils se sont fait passer pour des représentants d’entreprises de charbon et de pétrole. Ils ont donc tout simplement demandé à de célèbres professeurs des universités de Princeton et de Pennsylanie de rédiger des articles favorables à l’exploitation du pétrole et du charbon pour les pays en voie de développement… contre rémunération, bien sûr.


« Si j’écris l’article seul, je ne pense pas qu’il y ait le moindre problème...»

 

 

Début novembre, un membre de l’association contacte le professeur William Happer, universitaire renommé et physicien de premier plan, en se faisant passer pour le consultant en relations publiques d’une grande compagnie pétrolière. « Notre client est une compagnie pétrolière du Proche-Orient, inquiète de l’impact de la conférence climatique des Nations Unies qui doit se tenir ce mois-ci, écrit le vrai-faux consultant. Nous pensons que, vu votre travail important sur le sujet et votre poste à Princeton, un très court article écrit ou endossé par vous pourrait œuvrer fortement en faveur de notre client... »

 

Bien sûr, tout cela moyennant un petit pot-de-vin (pardon, un « financement pour l’étude ») et avec la promesse de ne surtout pas divulguer la source de la commande. Bref, de déclarer qu’il s’agit d’une étude indépendante, et de garder secret leur accord, afin que l’étude paraisse plus crédible. William Happer accepte sans hésiter, moyennant 250 dollars de l’heure.

 

Quand le faux commanditaire demande si cela ne pose vraiment aucun problème de maintenir secrète la source du financement, le chercheur assure qu’il n’y aura vraiment pas de souci à se faire : « Si j’écris l’article seul, je ne pense pas qu’il y ait le moindre problème à indiquer : “L’auteur n’a reçu aucune compensation financière pour ce texte” », répond-il avec assurance.

 

Pour vous donner une petite idée du personnage, William Happer a été l’un des hauts responsables de la recherche au sein du ministère américain de l’énergie. Il devait s’exprimer le mardi 8 décembre devant le Sénat américain, en tant qu’orateur principal d’une conférence organisée par le parti républicain.

 


Grâce à l’aide bienveillante de Monsieur Happer, la (pseudo) compagnie pétrolière avait toutes les clés en main pour arriver à ses fins et servir ses intérêts comme elle l’entendait. Mais pour le plaisir de l’expérience, les militants de Greenpeace ont tenté l’aventure avec d’autres chercheurs.

 

C’est ainsi que le respectable professeur Frank Clemente, sociologue à l’Université de Pennsylvanie, s’est retrouvé contacté par une soi-disant grande entreprise asiatique, spécialisée dans l’extraction et l’export de charbon. Le faux consultant lui explique rechercher un universitaire prestigieux pour publier un texte scientifique qui les arrange. Du coup, il demande s'il peut, par hasard, écrire un rapport pour « contrer les recherches préjudiciables qui établissent un lien entre le charbon et les morts prématurées, en particulier le chiffre de l’OMS selon lequel 3,7 millions de personnes meurent chaque année de la pollution des combustibles fossiles ».

 

L’universitaire affirme qu’une telle mission est dans ses cordes, qu’il serait ravi de mettre son nom et son titre universitaire au service d’une si noble cause (moyennant bien sûr, un petit coup de pouce financier d’environ 15 000 dollars pour un article de 8-10 pages — 6 000 dollars de plus pour une tribune publiée dans la presse).

 

Le professeur Clemente accepte donc d’écrire, sous son titre de professeur à la Penn State University, un rapport détaillant les bénéfices du charbon sur les économies, en particulier dans les pays en développement.

 

  

Selon les dires de Greenpeace, « Lorsqu’on lui a demandé s’il avait besoin de rendre publique l’origine des fonds, le professeur Clemente a déclaré, magnanime : ‘’Il n’y a aucune obligation à déclarer les sources de financement aux États-Unis’’. A l’appui, il a cité l’exemple d’un discours et d’une tribune financés par Peabody Energy, le plus grand charbonnier de la planète, ajoutant : ‘’Dans aucun de ces cas, le sponsor n’a été identifié. Je publie tout mon travail en tant que chercheur indépendant. ’’ » Bref, discrétion et anonymat garantis. Que demander de plus ?

 

D’ailleurs, comme le révèle le professeur Clemente aux enquêteurs de Greenpeace, il n’en est pas à son coup d’essai : il a déjà perçu la somme de 50 000 dollars (45 000 euros environ) de la part de Peabody Energy (un charbonnier Américain). Monsieur Clemente rassure le (faux) commanditaire quant à son professionnalisme et son efficacité : dans le rapport  publié pour Peabody, la source du financement avait été mentionnée en minuscules caractères, tout à la fin de l’étude. Le montant perçu, lui, n’avait jamais été divulgué. Pas besoin.

 

Pour achever de le convaincre son interlocuteur qu’il a bien affaire à un vrai pro de la désinformation scientifique, Clemente cite l’une de ses tribunes, publiée en mars par une cinquantaine de journaux américains, en défense de l'industrie du charbon. Il affirme aussi avoir témoigné en tant qu’expert devant une instance réglementaire du Tennessee devant statuer sur la fermeture d’une centrale à charbon…
« Dans aucune de ces situations le sponsor n’a été identifié, écrit-il. Je publie tous mes travaux comme “scientifique indépendant”. »


Plus tard, le sociologue sera contacté par le journal Le Monde afin d'obtenir davantage d'explications, notamment concernant son rapport concernant le charbon. Pour lui, aucun problème de conscience, il ne renie rien et il est même plutôt content de lui. Pour justifier l'écriture de ce travail, il invoque la "liberté académique", et estime être "très fier de ce rapport qui, à [sa] connaissance, ne contient aucune erreur". Un vrai petit ange, quoi.


 


Bien entendu, cette manière de procéder va complètement à l'encontre de la rigueur et de l'éthique scientifique. La plupart des revues scientifiques sérieuses précisent bien que tous les auteurs de travaux de recherche doivent obligatoirement mentionner, de manière claire, l'origine de l'étude (si une personne ou une entreprise l'a commissionnée), les éventuels sponsors et les participations financières... Cela, afin de pouvoir déterminer facilement la neutralité et la valeur scientifique d'un travail de recherche.

Dans le cas où la recherche est commissionnée et payée par une entreprise dans le seul but de servir ses intérêts, le travail relève clairement plus d'une opération de communication déguisée que d'un véritable travail scientifique. Le pire, c'est que ces travaux peuvent par la suite être allègrement repris au cours de négociations pour appuyer un discours — par exemple, faire la démonstration par A + B que les énergies fossiles sont bonnes pour la planète. Comme c'est un expert qui l'a dit, c'est que c'est la vérité, pas vrai ?

Fort heureusement, tous les experts du climat ne sont pas corrompus. Mais si l'on en croit la facilité avec laquelle Greenpeace a pu "convaincre" ces scientifiques de travailler pour eux, on est en droit de se poser de sérieuses questions... Avec un petit peu d'argent (imaginez la somme ridicule que représentent 15 000 euros, rapportés aux comptes d'une multinationale !), on peut facilement s'acheter l'appui de la science et la bénédiction d'un expert reconnu, pour justifier à peu près tout et n'importe quoi.


Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste