La ville du futur, sans argent, contrôlée par de gigantesques ordinateurs ? La solution à tous les problèmes de l'humanité, selon cet ingénieur

Bouton whatsapp

Un projet de monde sans argent, sans guerre, et sans propriété privée. Un projet où la science et la technologie seraient mises totalement au service de l'humanité, et s'appliqueraient intégralement à la mise en œuvre un monde plus juste. Un projet de système social entièrement reconstruit, avec l'objectif premier de maximiser la qualité de vie plutôt que les profits. Un projet qui guiderait l'humanité vers le stade ultime de son évolution sociale.

Le projet d'une vie, celle de Jacque Fresco, architecte génial, designer autodidacte et ingénieur de structures, décédé le 18 mai dernier à l’âge de 101 ans.

Ce projet, c'est le Projet Vénus. Des efforts qui ont demandé maintes années de recherches à son concepteur, ce dernier n'étant taraudé,  au cours de sa longue existence, que par une seule idée : inventer un nouveau mode de vie, durable et autonome, qui permettrait d'atteindre une sorte d'âge d'or dans leque l'humanité n'aurait plus à se soucier de ses besoins primaires, et pourrait consacrer l'intégralité de son énergie aux arts et aux sciences.

The Venus project

Imaginez : demain, les frontières ont été abolies. Le système monétaire aussi. Plus besoin d'argent : grâce aux progrès technologiques, les êtres humains ne sont plus obligés de travailler pour pouvoir satisfaire leurs besoins primaires. Grâce à l'abondance des ressources, tout appartient à tous, il suffit de se servir de ce dont on a besoin.

Du coup, la pauvreté et la violence n'existent plus, les lois ne sont plus nécessaires, la notion même de vol devient obsolète. Au lieu de se battre les uns contre les autres, au lieu d'entrer en compétition pour bénéficier de plus de ressources, les humains consacrent donc leur énergie et leur créativité à l’étude, à l’art, à l’innovation. Sur le papier, on tient là ce qui se rapproche probablement le plus d'un monde idéal.

Doux rêveur pour les uns, génial visionnaire pour les autres, Jacque Fresco aura passé sa vie entière à tenter par tous les moyens de prouver qu'un autre monde, plus juste et sans argent, était possible. Son travail, récompensé par l’Organisation des Nations unies en juillet 2016, a séduit différentes personnalités et membres de la communauté scientifique.

The Venus projectThe Venus project

Comment compte-t-il s'y prendre, concrètement, pour éradiquer l'argent et la pauvreté, et construire ce jardin d'Eden sur la planète Terre ? Selon lui, la clé du bonheur de l'humanité réside dans une idée simple : « l'économie basée sur les ressources ». Un modèle qu'il a développé tout au long de ses conférences, de ses séminaires, de ses articles et de ses livres.

Le postulat de départ est simple : si nous n’avons pas assez d’argent pour nourrir, loger, soigner et éduquer tout le monde, nous disposons en revanche de suffisamment de ressources. Ce qui crée la pauvreté, c'est bien la mauvaise répartition de ces ressources, et l'invention de l'argent qui permet à certains hommes d'asseoir une domination sur d'autres hommes.

The Venus project

Toujours selon Fresco, on peut répartir ces ressources de manière plus efficace et équitable, sans passer par l’argent, le troc, le crédit ou le travail. En effet, jusqu'à présent, nous avions besoin de main d'œuvre, paysanne puis ouvrière, pour faire fonctionner l'économie et produire des ressources par leur travail.

Cependant, son postulat est qu'avec les progrès techniques, l'humanité en vient à automatiser et à mécaniser de plus en plus le travail. Ce remplacement de l'homme par la machine a déjà commencé, et certaines tâches qui employaient un grand nombre d'ouvriers sont aujourd'hui accomplies, ou facilitées, par des machines.

Vous l'aurez compris : pour qu'un tel système marche, il faut donc que les ressources puissent être produites en abondance, et sans travail. Selon Jacque Fresco, c'est possible, grâce aux avancées promises par la technologie. Si nous utilisions nos connaissances scientifiques pour produire de l'abondance, les biens deviendraient trop peu chers pour être monétisés.

Roxanne Meadows, qui a participé au projet de Fresco, l'explique par une simple métaphore : « Il n’y a de prix que pour les choses qui sont rares. Par exemple, l’air est une nécessité mais nous ne régulons ni ne monétisons la quantité d’air respirée. L’air est abondant. Si les pommiers poussaient partout en abondance, nous ne pourrions pas vendre de pommes. »

L' urbanisme au service de l'humanité

Une fois la technologie suffisamment avancée pour permettre à l'homme de s'émanciper du travail, comme Fresco prévoit que ce sera un jour le cas, il restera encore à transformer profondément notre modèle de société et notre façon de concevoir les rapports humains. C'est ici que son concept de ville nouvelle intervient.

The Venus project

La ville imaginée et modélisée par Jacque Fresco est de forme parfaitement circulaire, et s'articule autour d'un immense dôme.

Là, se trouveraient concentrés tous les biens et les services dont les habitants peuvent se servir gratuitement : nourriture, équipement médical, soins, éducation. C'est cette disposition centralisée qui a inspiré à Fresco la forme circulaire comme étant le fer de lance de sa structure idéale : En plaçant tous les différents quartiers à équidistance du centre, ce système en forme de cercle garantit l'égalité d'accès et la facilité des déplacements pour tous.

Au centre du dôme, se trouverait un noyeau qui abrite un puissant ordinateur, dont l'intelligence artificielle se chargerait de veiller au bien-être des humains, de contrôler la qualité de l’eau et de l’air, de maintenir la sécurité et l’équilibre. Cette machine, impartiale par essence puisque non-humaine, rendrait obsolète toute forme d'état, de hiérarchie, ainsi que la concentration du pouvoir entre les mains de certains humains ou de classes sociales dominantes.

Ce superordinateur ne prendrait pas pour autant le rôle du gouvernement à la place des humains, puisque son action se limiterait au maintien d'une certaine forme de cohésion. Ne pouvant agir avec égoïsme, elle prendrait, à chaque fois, des décisions logiques pour le bien commun, profitant à tous. Son rôle serait essentiellement de maintenir une certaine harmonie et de veiller à la bonne coordination globale de l'ensemble.

The Venus project

Cette ville, elle existe déjà... ou presque. En effet, Jacque Fresco a bâti un véritable centre d'expérimentation fonctionnant comme un laboratoire grandeur nature, qu'il a commencé à construire à la fin des années 1970.

The Venus project

Ainsi, et jusqu'à la fin de sa vie, Fresco vivait dans un embryon du Projet Vénus, et il a réalisé de nombreuses maquettes présentant toutes les dimensions architecturales de son projet : panneaux solaires, autonomie énergétique, habitat à faible consommation ! Pour lui, il s'agissait avant tout de semer les premières graines, de poser les bases de ce qui selon lui pourrait être l'avenir de l'humanité.

Avec ce premier ensemble de constructions, Jacque Fresco entendait prouver que son projet n'était pas qu'une utopie, mais qu'il était également réalisable, du moins à l'échelle d'une ville.

Pour Zoltan Istvan, fondateur du Parti Transhumaniste Américain, qui fait partie des intellectuels ayant adoubé ce projet, « L’idée d’une ville expérimentale est tout à fait réaliste ». En revanche, tempère-t-il,  « Savoir si le monde entier embrasserait la théorie de l’économie basée sur les ressources, c’est autre chose, mais une ville expérimentale pourrait montrer la voie et répondre en partie à cette question. » 

Utopie ou dystopie ?

Le projet de Jacque Fresco suscite l'espoir, mais également des réactions bien moins optimistes. À l'enthousiasme des uns, s'oppose le scepticisme des autres. Pourtant, il suffit de se pencher un peu sur l'histoire de cet homme, de lire ses interviews et d'observer ses démonstrations pour se rendre compte que, de toute évidence, Fresco n'est ni un fou illuminé, ni un charlatan. Que le projet soit faisable ou qu'il soit trop ambitieux pour être concrètement réalisable, une chose est sûre et certaine : le personnage semble animé la plus profonde bienveillance, une sincérité indéniable et un humanisme sans faille. 

Reste que, comme pour tout ce qui parait trop beau pour être vrai, nous avons ce reflexe bien humain d'émettre nos réserves. On peut avoir tendance à se dire que, malgré les plus louables des intentions, tout cela pourrait bien dégénérer. Après tout, d'Huxley à Orwell, la science-fiction nous aura appris que, du concept utopique au désastre totalitaire, il n'y a parfois qu'un pas à franchir ! Cette égalité est-elle seulement possible, ou bien la nature humaine reprendra-t-elle forcément le dessus ? C'est là que se termine le débat du point de vue de l'architecture et qu'il commence du point de vue philosophique. 

Source : Ulyces

Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste