En Australie, la plus grande banque de sperme de corail du monde pour sauver un jour la Grande Barrière de coraux

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Au large de l'Australie, la Grande Barrière de coraux se meurt. Cet immense complexe vivant, de 2 600 kilomètres de long et de près de 344 400 km² de superficie, visible depuis la lune, n'est rien de moins que la plus grande structure vivante du monde. Les milliards d'individus qui la composent appartiennent à plusieurs centaines d'espèces de coraux différents, qui abritent à leur tour une biodiversité foisonnante, d'une richesse sans équivalent.

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Et pourtant, depuis quelques années, à cause du réchauffement et de l'augmentation du taux d'acidité des océans, la Grande Barrière est atteinte d'un terrible « cancer » qui la ronge : le blanchissement corallien. Entre 2016 et 2017, 1 500 kilomètres de récifs sur 2 600 ont en effet été touchés par le blanchissement, avec un dépérissement des coraux allant jusqu’à 95 % dans certaines zones.

Les scientifiques chargés de réfléchir a une solution d'urgence ont bien peu d'espoir. Il y a quelques mois, certains annonçaient déjà qu'ils avaient « échoué » et que plus rien ne pourrait désormais permettre de sauver ce joyau de la planète Terre. Les chercheurs se sont résignés. Tous ? Non ! Certains y croient encore, et sont persuadés qu'il reste possible de faire quelque chose pour préserver l'une des merveilles du monde naturel !

Pour tenter d'endiguer le phénomène de mort massive des coraux, des scientifiques australiens sont en train de constituer... la plus grosse banque de sperme de coraux du monde. Une gigantesque réserve, contenant pas moins de 171 000 millions de types de spermes différents.

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Oui, vous avez bien lu : du sperme de corail ! Car, même s’ils n'en ont pas l'air comme ça, les coraux sont des animaux, des petits organismes de l'ordre des Cnidaires  (la même famille que les méduses) qui vivent cachés à l'intérieur d'un exosquelette de calcaire. La petite bête elle-même est désignée sous le nom de "polype", quand le terme "corail" désigne ordinairement la superstructure formée par des colonies de millions d'individus.  Et comme nous, ces polypes se reproduisent grâce à des ovules et des spermatozoïdes. Sauf qu'à la différence des humains, la reproduction des coraux est loin d'être toute simple, et n'est pas conditionnée par les migraines ni par les aléas des rencontres Tinder, pour la bonne raison qu'ils ne peuvent pas se déplacer.

De fait, tout ce petit monde se reproduit une seule fois par an, à un moment bien précis : lors de la première pleine lune de l'été austral. C'est la "nuit d'amour" du corail. À cet instant, et à cet instant seulement, des millions d'ovules sont libérés dans la mer, comme autant de petites billes colorées. Dans le même temps, des nuages multicolores de spermatozoïdes sont relâchés dans l'océan par les mâles, formant de grandes nappes colorées et offrant l'un des spectacles les plus rares et les grandioses de la Nature.

La fécondation aura ensuite lieu au gré des courants et au hasard des rencontres des gamètes mâles et femelles. Une véritable orgie corallienne sous la pleine lune, un ballet séminal qui n'a lieu que pendant quelques heures de l'année... autant dire que les coraux ont intérêt à être bien coordonnés ! Pour ne pas manquer le rendez-vous, les organismes qui constituent les colonies de coraux se repèrent en se calant sur le cycle lunaire ainsi que la température de l'eau.

La plus grosse banque de sperme de corail du monde

Mais voilà : les coraux, si fascinants qu'ils soient, se meurent peu à peu. Alors, la Société de conservation de Taronga, une grande organisation australienne de protection de l'environnement qui met en place divers programmes de recherche, a décidé d'agir.  "Nous n'aurons jamais plus autant de diversité génétique corallienne que ce dont nous disposons actuellement, explique l'organisation sur son site. Alors, nous travaillons dur pour appliquer le savoir scientifique actuel en matière de cryoconservation à la Grande Barrière de corail."

Les chercheurs ont donc récolté au cours de différentes saisons de ponte, à la fois des cellules de spermatozoïdes et des cellules embryonnaires. Ils ont déjà réussi avec succès à les cryogéniser, puis à les décongeler et à les cultiver, prouvant que les gamètes pouvaient survivre et être viables même après avoir été gelés ! Au cours d’une mission de trois semaines, la Société de conservation de Taronga est ainsi parvenue à collecter 171 000 millions de spermes différents, issus de 31 colonies de coraux durs.

"Nous avons accumulé aujourd'hui assez de matériel pour produire plus de  200 millions de colonies, étant donné le résultat positif de nos expérimentations", se félicitent aujourd'hui les chercheurs. 

Reste qu'il faudra patienter encore un peu pour faire usage de ce stock, et attendre que les conditions soient idéales pour que les coraux puissent à nouveau repeupler un jour les eaux australes. Ce qui, au rythme actuel du réchauffement climatique, n'est pas encore gagné.

Un autre moyen de sauver le corail du blanchissement : un "super-corail" hybride plus résistant

Si les stocks constitués par  la Société de conservation de Taronga ainsi que par d'autres banques de sperme de coraux réparties dans le monde entier permettront de préserver le patrimoine génétique du corail, cela ne résout ni le problème du blanchissement, ni celui de sa cause.

En attendant, d'autres solutions sont envisagées pour sauver les récifs coralliens. Ainsi, si certains scientifiques vont à la pêche au sperme afin de constituer les réserves de demain, d'autres  réfléchissent déjà à une manière de permettre aux coraux de résister au réchauffement global. 

C'est le cas des chercheurs de l'Institut Australien des Sciences Marines de l'Université de Melbourne. Ces derniers sont en train d'expérimenter des croisements entre différentes espèces de coraux, avec un objectif : créer des variétés qui soient plus résistantes aux variations de température et d'acidité des eaux !  Au lieu de préserver le patrimoine génétique des coraux, ils cherchent au contraire à l'améliorer très subtilement, afin de leur permettre d'être plus résistants.

En croisant deux espèces, les chercheurs combinent deux différents génomes dans un même organisme — ce qui est le principe de base de l'hybridation. Cela crée une nouvelle combinaison de gènes, qui peuvent faire émerger de nouvelles caractéristiques.

En sélectionnant les croisements et les caractères génétiques que l'on souhaite conserver au fil des générations, on peut ainsi élever des coraux mieux équipés pour survivre dans des océans plus chauds ou plus acides. Il n'y aura plus qu'à les implanter dans l'océan, et laisser la nature faire le reste ! Grâce à ce petit "coup de pouce" humain, les coraux pourront s'adapter plus vite, et feront ce qu'ils mettraient autrement de nombreuses générations à accomplir avec la sélection naturelle "classique", économisant un temps précieux et vital à leur survie.

Au Kenya, des "transplantations de coraux" déjà effectuées avec succès

Une fois les coraux prêts à rejoindre l'océan, ils peuvent être cultivés dans des sortes de "pépinières" afin d'être ensuite "replantés". Ce procédé a déjà été employé avec succès, notamment au Kenya, où des fragments de coraux ont permis de sauver des récifs malades ou fortement endommagés, dans le cadre d'un projet expérimental.

En 2014, dans un récif qui avait perdu plus de 30% de sa surface à cause du blanchissement, de la pollution et de la surpêche, près de 835 fragments de coraux ont été transplantés sur une zone d'une surface totale de 350 m2, par l’intermédiaire d’un programme de l’ONU.

Les "bébés coraux", en fait des petites colonies de polypes coralliens vouées à grossir et à se développer, sont implantés sur des dalles en ciment, positionnées à des endroits stratégiques. Ces dalles constituent le point de départ du corail, qui va ensuite progressivement coloniser les lieux, permettant à terme à toute la faune et la flore de reprendre ses droits. Et en l'espace de trois ans, les résultats sont déjà visibles, et sont très encourageants !

"En 2013, un an avant que le projet de réhabilitation des coraux ne démarre, 6 tonnes de poissons picot et 2,3 tonnes de rougets avaient été pêchés dans cette zone pendant l’année, précise à ce sujet Science et Avenir. Trois ans plus tard, la prise de poissons picots a été multipliée par 3,5, et celle du rouget par 6, grâce au travail de l’équipe de reforestation sous-marine."


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Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste