Éleveur depuis 6 générations, il est contraint de déménager sa ferme car ses vaches « dérangent » ses nouveaux voisins venus prendre leur retraite à la campagne

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Cela fait six générations que ses ancêtres cultivent cette terre.. et pourtant, Nicolas Bardy, jeune agriculteur résidant dans le petit village de Lacapelle-Viescamp, dans le Cantal, va peut-être devoir arrêter son activité ou être contraint de déménager. En cause : des voisins venus s'installer à côté de ses vaches pour prendre leur retraite, mais qui ne supportent pas le bruit et l'odeur des animaux.

Originaire de Saint-Étienne, le couple de retraités, qui a préféré conserver l'anonymat, était venu s'installer il y a un peu plus d'une dizaine d'années. Au début, la cohabitation se fait paisiblement, jusqu'à ce que Nicolas Bardy reprenne la ferme de ses parents. La petite exploitation ne compte alors qu'une quinzaine de vaches laitières, mais en s'associant avec ses parents, l'agriculteur cantalou espère rajouter quelques têtes de bétail et passer aux vaches allaitantes. Des veaux viennent s'ajouter à son cheptel... mais c'est là que le bât commence à blesser.

Nicolas Bardy / TF1

Le couple de voisins commence à se plaindre de l'odeur occasionnée, selon eux, par les nouveaux animaux. Cela commence par de simples remarques, et les voisins tentent d'abord de résoudre la situation à l'amiable. Jusqu'à ce qu'en 2009, les retraités déposent finalement une première plainte de manière formelle, pour des ballots de paille placés de l'autre côté du chemin communal, à quelques dizaines de mètres de la maison. Le médiateur départemental est mobilisé, et les balles de fourrage sont déplacées une première fois... puis une deuxième, et enfin une troisième fois. 

« On essayait de trouver une solution, nous n’étions pas obligés, explique Nicolas Bardy dans les colonnes du quotidien régional La Montagne , tout en rappelant au journal auvergnat qu’il n’existe pas de réglementation en la matière. Mais là, une fois, deux fois, trois fois, à chaque fois le médiateur… On s’est dit : “Ce n’est plus nous, le problème”. »  Les voisins, eux, trouvent l'odeur « insupportable ». La situation s'envenime alors, et ce qui n'était au départ qu'une simple querelle de voisinage sans grande envergure finit par atterrir devant les tribunaux.

Coincé par une faille juridique, c'est la mort de sa ferme

En 2014, la justice donne d'abord raison à l'agriculteur, mais les voisins, mécontents, ne l'entendent pas de cette oreille, et refusent de lâcher l'affaire. Ils décident de faire appel, et après avoir envoyé une lettre au procureur, leur insistance finit par payer... puisque l'affaire est relancée devant la cour d’appel de Riom et le jugement tranche finalement en leur faveur !

De fait, les avocats des plaignants avaient trouvé, cette fois-ci, un argument juridique imparable. En fouinant un petit peu dans les dossiers, ils se sont rendu compte de la présence d'une erreur de la part de l'agriculteur : l'un des deux bâtiments de la ferme, construit en 1996, n'était pas censé accueillir de vaches au regard des normes légales. De son côté, Nicolas Bardy plaide la bonne foi : il n'y installe que quelques-unes de ses bêtes au cœur de l'hiver afin de les garder au chaud. Il assure aussi que, même s'il reconnaît cette erreur, il n'avait pas connaissance de ce détail administratif, exhumé par ses voisins pour appuyer leur procédure. « On ne peut pas passer notre vie à chercher à savoir si on est irréprochable », se défend-il.

Crédit : comité de soutien à Nicolas Bardy / Facebook

Toujours est-il que, la faille ayant été trouvée, il doit enlever toutes les vaches de ce hangar. Plus de ballots de paille à moins de 50 mètres de l'habitation, et pas de fumier non plus. L’agriculteur, désormais le dos au mur, a jusqu’à janvier pour déménager sa ferme 50 mètres plus loin et se mettre en conformité, sous peine de devoir payer 1000 euros d'astreinte pour chaque infraction relevée...

Mais même en voulant bien faire, selon lui, c'est techniquement impossible. En effet, c'est bien uniquement l'hiver que les vaches, mises à l'étable, dérangent les voisins : le reste de l'année, elles sont dans les prés et ne gênent personne. La seule solution serait de faire vêler les vaches dehors... Sauf qu'en hiver, dans le Cantal, il fait souvent froid et il y a de la neige. Une éventualité que le jeune agriculteur refuse catégoriquement, par respect pour la santé et le bien-être de ses animaux. « Ce n’est pas ma vision de l’élevage », explique-t-il.

Coincé, à court de solutions et sans aucune échappatoire même avec toute la meilleure volonté du monde, c'est la mort de sa ferme, soupire-t-il, à moins de changer totalement de modèle et de se reconvertir dans un autre domaine. Avec une exploitation familiale d'une petite vingtaine d'animaux seulement, la famille explique « ne pas avoir les revenus nécessaires pour supporter ça. »

Du côté du couple de retraités, on assure n'avoir aucune intention de nuire aux agriculteurs : interrogé par La Montagne sur l'éventualité que la ferme fasse faillite à cause de sa plainte, le voisin en question assure « en être conscient », et ajoute que « ce n’est pas le but recherché », avant d'expliquer avoir fait le choix de s'installer ici parce que le pays lui plaisait. Il se défend toutefois d'avoir le nez délicat du citadin néorural, qui veut vivre à la campagne sans accepter les petits « désagréments » occasionnés par les activités agricoles, chose que bien des sympathisants de Nicolas Bardy lui repprochent. Pour se justifier, il explique qu'il était même prêt à aider son voisin à faire les foins.  « On a eu de la patience, mais il y a des jours où on ne pouvait pas rester dans la cour. »

À l'heure actuelle, impossible de voir si les vaches dérangent ou non, car elles sont dans les prés. Ce n'est qu'aux alentours du mois de janvier qu'elles rentrent à l'étable : « Quand notre petite-fille venait, on était obligé de la faire jouer à l’intérieur », expliquent les retraités pour illustrer la gêne occasionnée par les animaux.



Déjà presque 15 000 signatures sur une pétition pour soutenir l'agriculteur

Les voisins de Nicolas Bardy se sont rapidement mobilisés en apprenant la nouvelle : Aujourd'hui, à  Lacapelle-Viescamp, presque tous les jardins et les maisons affichent des pancartes en soutien au paysan. Des tracts ont également été distribués dans diverses communes environnantes, et un barbecue géant a été organisé en guise de solidarité. 

Un comité de soutien a même été créé, à l'initiative de certains habitants. L'une des membres de ce comité, Stéphanie Fourcat dénonce l'absurdité de la situation au micro de TF1 : « Beaucoup de petites exploitations, comme celle-ci, sont à la base des petits villages : ce sont les maisons qui sont arrivées ensuite autour ! » Voisine immédiate de la famille Bardy, c'est elle qui a créé une pétition en ligne sur le site Change.org, pétition qui a déjà recueilli presque 15 000 signatures, et qui commence à faire du bruit sur les réseaux sociaux. Jean-Paul Andrieu, un autre agriculteur de la région, renchérit en défense de son confrère éleveur : « Les gens qui viennent à la campagne, on est d'accord pour les accueillir, ce n’est pas un souci... mais en retour il faut qu'ils acceptent les avantages et les inconvénients de ce mode de vie. »

En réaction aux critiques des autres habitants du village, le couple de retraité assure que si ces voisins soutiennent l'agriculteur, c'est bien parce qu'ils ne sont pas directement concernés par la proximité de sa ferme.  « Aucun autre voisin ne subit de nuisances. Revenez en hiver quand les vaches seront là, et vous verrez ! »

Nicolas Bardy a décidé de se pourvoir en cassation. Mais dans l'attente de cette nouvelle audience, qui aura lieu en 2020 ou en 2021, il risque gros s'il veut conserver son activité. 

Crédit : comité de soutien à Nicolas Bardy / Facebook


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Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste