Il s'agissait de l'un des plus gros forums pédophiles du dark web. Baptisé « Childs Play » (comprenez « Jeux d'Enfants » ), des milliers d'images de pornographie infantile y circulaient, partagées par une communauté de plus d'un million de personnes, comptant quelque 4 000 pédophiles actifs. Le forum était l'un des principaux repères pour les délinquants sexuels du monde entier, qui pouvaient s'y retrouver et partager leurs « exploits ».
Sauf que l'administrateur du site n'était autre que... la police australienne. En se faisant eux-mêmes passer pour des prédateurs sexuels, les agents spécialisés ont pris le contrôle du site, et l'ont géré pendant plusieurs mois afin de prendre au piège un maximum d'individus.
Au terme d'une traque qui aura duré près d'un an, l’unité spéciale de police australienne «Argos» a finalement fait tomber les masques, après avoir patiemment compilé des informations dans l'ombre. Au total, ce coup de filet de grande ampleur aura conduit à l'arrestation de nombreux pédophiles dans une douzaine de pays du monde entier.
Le « web obscur » peut servir de base opératoire à des groupes de pédophiles actifs — De Sander van der Werf, Shutterstock
Infiltrer le réseau pédophile n'a pas été simple pour la police. À l'origine de cette opération d'immersion de longue haleine au sein de leur communauté, un gros coup de chance : en octobre 2016, grâce à l'appui d'Argos, les forces de l'ordre états-uniennes arrêtent Benjamin Faulkner, un pédophile Canadien, après le viol d'une fillette de 4 ans en Virginie. Après interrogatoire, les enquêteurs découvrent que cet homme n'est autre que l'administrateur de l'un des plus gros réseaux pédophiles du web profond, « Childs Play ».
Bien vite, les policiers perçoivent que grâce à cette arrestation, ils ont la possibilité de mettre hors d'état de nuire non pas un, mais plusieurs milliers de pédophiles, répartis dans le monde entier. Finalement, Benjamin Faulkner est contraint de révéler à la police ses identifiants. Les agents peuvent mettre en œuvre leur stratagème.
Immédiatement après l'arrestation, l'unité Argos transfère le site sur un serveur australien, et prend l'identité de Faulkner. Ils commencent à poster des messages en se faisant passer pour lui, s'excusant rapidement de l'absence inexpliquée afin de rassurer la communauté.
Pédophile avec un ours en peluche — andriano.cz / Shutterstock
Patiemment, plusieurs agents spécialisés dans la lutte contre la criminalité sur internet se mettent dans la peau de pédophiles, et découvrent un monde lugubre, où près de 4 000 membres actifs échangent sur leurs activités criminelles. Une bonne centaine de « producteurs » de pornographie pédophile y sont chargés de filmer des viols d'enfants, et sont mis en relation avec le reste de la communauté afin de partager et de diffuser des images et des vidéos.
Créé en avril 2016, le site avait attiré plus d'un million d'inscriptions avant d'être finalement fermé par la police le mois dernier. Sur cette gigantesque base d'utilisateurs, les enquêteurs estiment qu'un peu moins de 4 000 d'entre eux étaient des criminels actifs.
Dilemme éthique
Pour se faire passer pour Benjamin Faulkner, les agents de l'unité Argos ont été confrontés à un épineux dilemne éthique. Car le pédophile avait pris l'habitude de garnir tous ses messages destinés à sa communauté avec des images d'exploitation sexuelle infantile. Afin de ne pas éveiller les soupçons et avoir le temps de réunir un maximum d'informations, les enquêteurs devaient donc partager eux aussi ce genre de contenu.
« Ne laissez aucune pierre non-retournée » : le logo et la devise d'Argos, l'unité spéciale de lutte contre la pédophilie sur internet de la police australienne
Utiliser des images de viols d'enfants pour éviter que d'autres enfants aient à subir le même sort ? La méthode est discutable d'un point de vue éthique et déontologique, de nombreux pays interdisent de telles pratiques comme relevant de l' « incitation au crime »... mais elle est parfaitement légale eu Australie : c'est d'ailleurs cette souplesse juridique qui rend le travail de la police spécialisée australienne si efficace, et qui permet à Argos d'avoir déjà aidé les forces de l'ordre de nombreux autres pays à traquer des criminels.
Hetty Johnston, la fondatrice et directrice d'Argos, défend cette méthode à 100% : « Je pense que c'est clairement une question délicate pour tous les agents impliqués, et pour la police en général », explique-t-elle au Guardian. « Cela étant dit, je soutiens à 100% ce genre de méthodes, parce que les images utilisées par la police ne sont évidemment pas des images qu'elle crée, ce sont des images déjà existantes qu'elle a pu saisir. Et c'est justement dans le but d'arrêter les personnes qui en sont responsables. »
L’enquête a permis de procéder à « des sauvetages importants d'enfants à l'échelle mondiale » et à l'arrestation de « délinquants sexuels graves », a expliqué l’inspecteur en charge de l’enquête, Jon Rouse, au tabloïd britannique.