Pourquoi le 8 mars n'est pas et ne sera jamais la journée où l'on célèbre les femmes ?

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Aujourd'hui, c'est le 8 mars. Et aujourd'hui c'est la journée internationale des droits des femmes. Et pas autre chose. Et certainement pas une journée où le rouge à lèvres à prix cassés enthousiasmera les femmes.

L'idée de cette journée a parcouru du chemin. En effet, cette journée internationale consacrée aux droits des femmes a été pensée pour la première fois en 1910. À l'initiative de cette idée ? La conférence internationale des femmes socialistes. Il faudra donc attendre 67 ans pour que finalement, le 8 mars 1977 soit une journée marquée au fer rouge par les Nations Unies, qui dédient ainsi officiellement cette journée à la lutte pour les droits des femmes.

« L’Assemblée générale des Nations Unies demande à tous les pays de la planète de s’efforcer de créer des conditions favorables à l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et à leur pleine participation, sur un pied d’égalité, au développement social (résolution 32/142) ET invite tous les États à proclamer, comme il conviendra en fonction de leurs traditions et coutumes historiques et nationales, un jour de l’année Journée des Nations Unies pour les droits de la femme [*] et la paix internationale. »

Voilà comment la journée des droits des femmes est née. Et que l'on pense que ce soit une bonne ou une mauvaise chose, le résultat est le même : Si une journée des droits des femmes a été instaurée c'est bien parce qu'il existait des discriminations évidentes. Et si nous « célébrons » toujours cette journée, c'est bien parce que depuis 1977, les revendications des femmes n'ont pas pris énormément de rides. Dépendant des situations géographiques, les conditions des femmes sont encore très amoindries et déplorables. Des droits souvent bafoués au détriment d'une société toujours misogyne basée sur des stéréotypes qui ont la dent dure.

Le 8 mars n'est pas la journée de la « meuf »

Non. Le 8 mars n'est pas la journée où les hommes devront faire un effort pour être gentleman. Ce n'est pas la journée où les hommes auront pour contrainte de devoir ouvrir la porte aux femmes, ni celle où ils devront se sentir obligés de sortir des blagues vaseuses du style 'eh c'est ta journée, tu peux remettre la vaisselle à demain'. D'abord parce que ce n'est pas drôle et que cette blague ne mérite même pas un rictus mais aussi et surtout parce que le 8 mars ne célèbre pas la femme. Mais bien les droits des femmes. Les femmes n'auront donc pas besoin de se rassembler et chanter « Who Run The World » mais auront besoin de sentir que la société évolue en leur faveur, pour une équité parfaite. Et c'est, malheureusement, loin d'être le cas.

Concrètement, les cadeaux, les chocolats en forme de cœur, les fleurs et les culottes roses, et les T-shirts roses, les femmes s'en contrefoutent, royalement. Et comme le déclare parfaitement le secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes : « Le 8 mars, ce n’est pas un jour en l’honneur des femmes, un hommage à la beauté des femmes, [...] c’est une journée pour rappeler le chemin qu’il reste à parcourir ». Donc exit les stratégies marketing pour vendre toujours plus, ça ne prend plus vraiment. Et ce sont les internautes qui le disent sur Twitter : « On veut : le même salaire que les hommes pour le même travail, le droit à l'IVG partout dans le monde, pénaliser les violences domestiques partout ».

Pas de progrès notable dans le monde du travail ces vingt dernières années

Le lundi 7 mars, l'Organisation internationale du travail (OIT) a publié un rapport qui s'apparente davantage à un bilan sur la situation des femmes dans le milieu du travail. Et ce n'est pas glorieux. « Le taux mondial de participation des femmes à la population active est passé de 52,4 % à 49,6 % » entre 1995 et 2015, écrit l'OIT. En ce sens, en 2015, 1,3 milliard de femmes étaient présentes dans le monde du travail contre 2 milliards d'hommes. En termes de pourcentage, l'écart est sans appel : 46% de femmes sur le marché du travail contre 72% d'hommes.

Pour l'exécutif européen, l'égalité entre les hommes et les femmes est une « l'une des valeurs fondamentales de l'Union européenne ». Alors, comment expliquer que les écarts de salaires persistent en Europe ? En effet, selon Eurostat qui a publié des chiffres annuels, révélant ainsi que les Européennes sont payées 16% de moins que les hommes, l'office déclare que « pour chaque euro gagné dans l'heure par un homme, une femme gagnait en moyenne 84 centimes ».

Le droit de disposer de son propre corps

Ce n'est un secret pour personne. Les cultures et les traditions y sont pour beaucoup. D'un côté les femmes érigent le droit de disposer de leur propre corps comme elles l'entendent et de l'autre elles sont confrontées à des dérives politiques, socioculturelles et parfois religieuses sur leur façon de s'habiller, de se comporter, de parler. 

Pour certains pays, le droit de disposer de son corps est plus périlleux que pour d'autres pays. En Iran, depuis plusieurs mois maintenant, les femmes se battent et se font emprisonner parce qu'elles rêvent de liberté. Engoncées dans des lois qui aspirent à faire oublier que la femme possède des atouts, les femmes ont décidé de dire non au voile. Ainsi, les Iraniennes ont mis en place un mouvement de protestation afin de crier leur droit à la liberté, leur droit à leur féminité et leur droit à être considéré comme des êtres humains avant d'êtres perçues comme des objets désirables.

Aujourd'hui, leur combat continue et nous pouvons continuer à voir des Iraniennes brandir leur voile dans les rues de Téhéran. Mais aujourd'hui, une femme doit purger une peine de deux ans de prison pour avoir enlevé son voile. Un geste qui, selon le procureur général de Téhéran, Abbas Jafari Dolatabadi, « a encouragé la corruption morale ». Libérées pour la plupart, plus de trente femmes ont été poursuivies en justice pour avoir défié l'autorité.

La femme, exposée à la violence et à l'objectification sexuelle

En Inde, des dizaines de milliers de femmes sont achetées et vendues comme épouses. Elena del Estal, écrit dans les colonnes du Guardian que « pendant des siècles, le trafic de femmes à marier a été un marché florissant dans les États de l'Haryana, du Pendjab et du Rajasthan, au nord de l'Inde. Il n'existe pas de données officielles du gouvernement sur le nombre de victimes du trafic d'alliances, mais l'on estime que des centaines de milliers de femmes et de filles, principalement venant d'Assam, du Bengale-Occidental, du Jharkhand ou du Bihar, ont été vendues en mariage ».

La pratique de l'avortement sélectif et très largement répandue. En effet, selon les Nations Unies, environ 500 000 d’interruptions volontaires de grossesse (IVG) destinées à éviter la naissance d’une fille ont lieu en Inde, chaque année. Mais l'Inde n'est pas le seul pays à préférer mettre des garçons au monde. En Arménie, en Chine et en Azerbaïdjan, bien que l'IVG en fonction du sexe soit interdit, la pratique reste au goût du jour. Pour Suzanne Moore, la journaliste du The Guardian, « parfois, il semble qu'il y a tellement de façons de détruire les femmes qu'elles nous en sont devenues invisibles. Il est des femmes que vous ne verrez jamais, parce qu'elles ne naîtront jamais ».

Au contraire, parce que dans 68 pays l'avortement est toujours prohibé sauf exceptions, 22 millions de femmes doivent avoir recours à des avortements clandestins, ce qui met gravement leur vie en danger. Au Sénégal, par exemple, les femmes risquent la prison si elles veulent avorter. Récemment, le parti conservateur de la Pologne voulait restreindre le droit à l'avortement, provoquant ainsi la colère des Polonaises et les réunissant dans la rue.

Mutilations sexuelles et avortements prohibés

La fondation internationale des droits humains (FIDH) estime que 200 millions de femmes dans 30 pays sont victimes de mutilations sexuelles. On parle surtout d'excisions. En Côte d'Ivoire, c'est 30 à 40 % de femmes qui sont excisées. Aminata Traoré, écrivaine ivoirienne, au micro de RFI Afrique a déclaré que « dans les lycées, la fille qui n’a pas été excisée est à l’écart, elle est rejetée par les autres… à un moment donné elle prend l’initiative de se faire exciser sans l’accord des parents. C’est choquant mais c’est une convention sociale dans le village et la fille se dit qu’il faut qu’elle appartienne à cette société-là : elle se voit obligée moralement d’aller se faire exciser ».

Pour Christine Beynis, infirmière française en Guinée et interrogée par RFI, expliquait que le continent Africain n'a pas le monopole des mutilations génitales et au contraire qu’« il y a beaucoup plus de femmes excisées en Indonésie qu'en Afrique. Les femmes indonésiennes sont toutes excisées ! « Yémen, Irak, les femmes kurdes sont toutes excisées ». Pour rappel l'excision peut avoir des graves effets sur le corps et peut provoquer la mort d'une femme. 

Viols, harcèlement, féminicides

En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon. En 2016, c'est 109 meurtres et 143 tentatives de meurtre de femmes qui ont été recensés. Mais la société s'entête néanmoins à parler de « crimes passionnels » comme si en abattre sa conjointe ou ex-conjointe pouvait être une espèce de mobile défendable. Les mots pour désigner le crime des femmes semblent manquer. Et plutôt que prendre le problème à bras-le-corps, nous soulevions des faux problèmes. « Mais pourquoi au premier coup, la femme ne part pas du domicile ? » ou bien « mais pourquoi elles ne dénoncent pas leur mari aux autorités ? » 

Des questions que l'on pose afin de se dédouaner d'être possiblement témoin passif d'une maltraitance persistante. Alors, nous donnons aux femmes à s'interroger et parfois même à en venir à se demander si elles n'ont pas fait quelque chose pour mériter ces sévices. Mais comment en 2018 alors, est-il même possible, dans une société qui se veut aussi moderne, que des hommes, au nom d'une supposée jalousie excessive, au nom d'un adultère ou gratuitement, puissent tuer, frapper ou violer leur conjointe ?

Comment est-il possible de n'avoir jamais posé les bases et expliquer aux plus jeunes que « non, tuer par amour, ça n'existe pas » et ainsi que « non, nos héros machos des films ne doivent en aucun cas être un idéal masculin ». Le mâle alpha n'a plus sa place dans la société et ça ne devrait pas être aux femmes de se demander comment éviter de se faire tuer pendant son sommeil ou trancher la gorge par son mari, pourtant aimant. Elles ne devraient pas non plus avoir à, un jour, se demander pourquoi personne n'a bougé alors qu'elle se faisait violer dans une rame de RER, sans que cela n'ébranle personne.

Une femme n'a pas non plus à se rendre au commissariat pour déposer une plainte pour viol pour que la première question posée soit « comment étiez-vous habillée au moment des faits ? ». Oui mais non. Rappeler à la femme que sa façon de s'habiller peut potentiellement être une raison pour qu'un homme se jette sur elle c'est en quelque sorte rappeler à la femme qu'elle ne peut pas s'habiller comme elle l'entend. Et ça, en 2018, c'est impossible. Mais c'est bien à la société, de se demander pourquoi dans un pays de droits, autant de femmes peuvent subir ce qu'elles subissent.

Mais il reste évidemment des élans positifs quant à la situation des femmes

Et nous devons absolument mettre en lumière ces quelques avancées positives. Nous devons absolument en parler. Parce que se rendre compte des avancées est certainement là l'une des meilleures façons de se battre et de croire qu'un jour l'équité sera acquise. Ce que nous avons cité sont des faits. Ces faits ne sont évidemment pas tous cités, auquel cas l'article aurait fait l'objet d'un essai. Et aussi lamentables que sont ces faits, il reste évident qu'il existe des sociétés où le statut de la femme ne cesse d'évoluer, où les femmes ont osé se rebeller, parler et hurler au monde leur envie de disposer des mêmes droits que les hommes.

Récemment, en Arabie Saoudite, les femmes ont acquis le droit de conduire. Et même si on ne devrait pas s'en féliciter, car c'est un fait qui leur revient, normalement, de droit, il s'agit d'une bataille remportée. En Syrie, dans la zone kurde, les femmes ont, depuis peu, les mêmes droits que les hommes, une avancée qui résulte de la politique du fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan. Aussi pour la première fois au monde, les femmes islandaises ont obtenu l'instauration d'une loi pour établir l’égalité des salaires comme une obligation dans le secteur privé tout comme dans le secteur public.

La Tunisie a elle aussi fait une avancée quant à la condition des femmes dans le pays. En effet, elle a voté au Parlement une loi pour lutter contre les violences faites aux femmes. Celle-ci renforce la protection des femmes victimes de violences et supprime notamment la possibilité pour l’auteur d’un acte sexuel avec une mineure de se marier avec la victime pour échapper à des poursuites.

Évidemment, la parole des femmes s'est libérée. Un mal pour un bien. Puisqu'il aura fallu plusieurs viols et plusieurs agressions sexuelles pour que les femmes osent enfin parler de ce qu'elles ressentent et se sentir le courage de faire des revendications. Le mouvement #MeToo s'est étendu un peu partout dans le monde occidental et permis aux femmes de se sentir soutenues. Ce mouvement a été la prémisse d'une toute nouvelle façon de penser la société pour certains politiques.

Alors, on fait quoi le 8 mars ?

On refuse. On refuse d'être témoin de la culture du viol. On refuse d'entendre que le consentement est un concept encore trop flou. On refuse qu'une femme se fasse insulter de salope parce qu'elle jouit de la même sexualité qu'un homme. On refuse d'enfermer les femmes dans une misogynie pesante, persistante et ubuesque. On refuse d'entrer dans un cercle vicieux qui consiste à pointer du doigt absolument tous les hommes. On refuse que les femmes considèrent l'homme comme leur ennemi.

On refuse surtout de penser les femmes comme des victimes. On refuse que les femmes elles-mêmes se positionnent en tant que victime. On refuse que les femmes, entre elles, se dénigrent. On refuse qu'une femme qui a travaillé dans le milieu de la pornographie refuse aujourd'hui d'avoir des enfants de peur qu'il se fasse insulter. Et on refuse d'inférioriser l'homme.

Et on accepte que les hommes puissent être les alliés des femmes dans cette bataille qui a encore de longs jours devant elle. On accepte que l'égalité, par nature, ne puisse être atteinte mais que nous devons aspirer à une équité parfaite. On accepte toutes les femmes. On accepte qu'il doive exister une solidarité féminine et on accepte de tout mettre en œuvre pour ne pas décrédibiliser. le discours féministe qui a légitimité à perdurer. 

Le 8 mars, les femmes, pour marquer cette lutte, s'associent au collectif 8mars15H40 qui appelle les femmes à quitter le travail à 15h40. Heure où, si l'on se réfère aux inégalités de salaire, elles commencent à travailler gratuitement. Pour l'évènement, un karaoké « géant » est organisé sur la place de la République à 17h30. 

Et surtout, le 8 mars, on refuse que ce soit la seule journée où nous luttons pour le droit des femmes.

« Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketing, pas une vague promotion de la fellation ou de l'échangisme, il n'est pas seulement question d'améliorer les salaires d'appoint. Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes et pour les autres. Une révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s'agit pas d'opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l'air ». Virginie Despentes


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Au sujet de l'auteur : Pauline Masotta

Journaliste