Après les « Panama Papers », voici les « Paradise Papers », une enquête édifiante sur les sociétés offshores et ceux qui en profitent

Bouton whatsapp

Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui comprend 96 médias partenaires à travers la planète dont «Le Monde», a révélé un nouveau scandale financier avec une enquête appelée les « Paradise Papers ».

Cette enquête permet d’en savoir plus sur les mécanismes parfaitement huilés d’optimisation fiscale dont profitent les multinationales et les grandes fortunes. Ces « Paradise Papers » regroupent 13,5 millions de documents, dont 6,8 millions proviennent du cabinet international d’avocats Appleby, basé aux Bermudes et présent dans une dizaine de paradis fiscaux.

On y trouve également 6,2 millions de documents issus des registres confidentiels des sociétés de 19 paradis fiscaux à travers le monde, des Bahamas à Vanuatu, en passant par Malte, le Liban, les îles Cook, Grenade ou encore les îles Caïman. Ces millions de documents ont été étudiés pendant un an par l’ICIJ et ses médias partenaires.

18 mois après les «Panama Papers, voici les « Paradise Papers »

ICIJ

18 mois après les «Panama Papers», il s’agit donc d’un nouveau scandale fiscal qui démontre que les plus grandes fortunes mondiales profitent d’un système très opaque afin d’échapper à la fiscalité et aux autorités de régulation de leur pays respectif.

Selon les calculs effectués par Gabriel Zucman, économiste français et professeur à l’université de Berkeley en Californie, pour l’ICIJ, l’évasion fiscale des entreprises et des grandes fortunes coûterait 350 milliards d’euros de pertes fiscales par an aux États du monde entier, dont 120 milliards pour l’Union européenne. À l’échelle de la France, ces pertes fiscales atteignent les 20 milliards d’euros par an.

Si les «Panama Papers» mettaient la lumière sur le blanchiment d’argent sale (fraude fiscale et activités illicites), les «Paradise Papers» se concentrent surtout sur les systèmes légaux montés par des bataillons d’experts en optimisation fiscale. Dans cette enquête, l’argent a généralement été soustrait à l’impôt de façon légale ou aux frontières de la légalité, en exploitant les failles du système fiscal international.

Par exemple, le cabinet Appleby, d’où provient la majorité des documents qui ont fuité, fait partie du gratin de la finance offshore, réunit 700 employés qui attachent beaucoup d’importance à satisfaire leurs clients en repoussant au maximum les limites de la légalité. Le cabinet s’évertue à chercher les failles dans les législations fiscales des États afin de permettre à leurs clients de contourner les règles et échapper aux taxes et aux impôts.

Elisabeth II et la Couronne britannique dans la tourmente

Parmi les premiers noms déjà cités, on retrouve la reine d’Angleterre Elisabeth II, et quelques personnes faisant partie de l’entourage de Donald Trump ainsi que de Justin Trudeau, respectivement président des Etats-Unis et Premier ministre du Canada.

Pour la première fois, des documents prouvent que la reine d’Angleterre, via le duché de Lancastre, détient des intérêts dans plusieurs fonds d’investissement dans des paradis fiscaux selon Le Monde. Elle aurait notamment effectué un investissement de 7,5 millions de livres (soit 8,4 millions d’euros) en 2005 au Dover Street VI Cayman Fund LP, une structure des îles Caîmans. Cet investissement a nourri un autre fonds américain, qui a lui-même investi dans des sociétés de capital-risque à travers le monde.

De plus, le duché de Lancastre est aussi accusé de minimiser le montant de ses impôts en accordant un prêt important à une holding luxembourgeoise. Face à ces révélations, la Couronne britannique a préféré démenti son implication dans toute opération fiscale frauduleuse de ce type.

AAP

L'entourage de Donald Trump et de Justin Trudeau trempé dans l'affaire

Autre nom prestigieux dans la tourmente, celui de Wilbur Ross, le secrétaire d’État au commerce de l’administration Trump. Connu sous le nom de «roi de la faillite», il a fait fortune en rachetant des groupes sidérurgiques en difficulté. Lors de sa nomination au gouvernement, il a dû céder 80 de ses sociétés et en a secrètement conservé neuf, établies dans des paradis fiscaux comme les îles Caïmans ou les îles Marshall.

Par exemple, l’une de ses sociétés, Navigator Holdings Ltd, spécialisée dans le fret maritime, lui permet de gagner des millions de dollars par an alors qu’elle concurrence directement des entreprises de transport américaines. Une situation qui le place dans une situation de conflit d’intérêts. En outre, cette société est très étroitement liée à des groupes russes appartenant à des oligarques visés par des sanctions américaines suite à l’invasion russe de la Crimée en 2014. Ces liens renforcent inévitablement les soupçons de collusion entre la campagne présidentielle et l’administration de Trump avec la Russie.

Wilbur Ross aux côtés de Donald Trump / AFP

Wilbur Ross n’est pas un cas isolé puisqu’une galaxie de sociétés offshore proches de Donald Trump et de ses administrateurs est aussi dans le viseur des «Paradise Papers». Des révélations qui ne devraient pas choquer le président américain, lui qui se vantait son « intelligence » à faire en sorte de ne plus payer d’impôts fédéraux depuis près de 20 ans.

Au Canada, le nom de Stephen Bronfman, l’un des conseillers les plus proches de Justin Trudeau, le premier ministre, se retrouve également impliqué. D’après les «Paradise Papers», lui et sa société Claridge se sont investis et impliqués dans une structure financière opaque des îles Caïmans, le Kolber Trust, un trust de 60 millions de dollars (soit 52 millions d’euros) qui pourrait avoir soustrait aux caisses fédérales des sommes colossales en impayés d’impôts. Une révélation qui fait tâche pour Justin Trudeau qui avait fait de la lutte contre les paradis fiscaux l’une de ses priorités.

Enfin, l’enquête révèle également que des structures proches du pouvoir russe ont investi dans les réseaux sociaux Facebook et Twitter en 2011 et 2012, via le fonds d’investissement d’un milliardaire, Youri Milner. Par exemple, la banque VTB, la deuxième plus grosse de Russie et dont le président est un proche de Vladimir Poutine, a versé discrètement 191 millions de dollars (soit 164 millions d’euros) dans DST Global afin d’investir dans Twitter.

Le Monde prévient que de nombreuses révélations seront faites, dans les prochains jours, concernant les secrets offshores des multinationales, notamment françaises. Les « Paradise Papers » révèleront également les secrets des conglomérats dissimulés derrière un florilège de sociétés-écrans ainsi que ceux de compagnies minières qui utilisent les paradis fiscaux pour masquer des opérations douteuses.

Dans sa globalité, les « Paradise Papers » mettent au grand jour un monde à part réservé aux élites mondiales, un monde où l’impôt n’existe pas.

Source : ICIJ / Le Monde

Au sujet de l'auteur : Jérémy Birien

Journaliste, rédacteur en chef