Une enquête révèle qu'Emmanuel Macron bénéficiait de quelques « ristournes » auprès de prestataires pendant sa campagne

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La cote de popularité d'Emmanuel Macron ne semble pas résulter uniquement de son électorat. En effet, et comme le révèle Médiapart et Le Monde, le président de En Marche, aurait bénéficié de ristournes pas tout à fait « normales » ni « habituelles » lors de sa campagne électorale. La Commission des comptes (CNNCFP) aurait-elle failli à son devoir de vigilance ?

Crédit image : Shutterstock.com / Frédéric Legrand - COMEO

Le Monde a eu à disposition 25 dossiers de la Commission nationale des comptes des campagnes et des financements politiques (CNNCFP) et a révélé avec Médiapart, des chiffres étonnants qui traduisent d'un grand nombre de réductions de la part de prestataires pour Emmanuel Macron et son équipe, lors de sa campagne présidentielle. Le Monde révèle, comme point de départ et de comparaison que, sur les « onze présidents à l'Élysée, Emmanuel Macron fût le plus dépensier ». Sur les 22,5 millions autorisés, la Commission des comptes a validé un budget de 16, 578 millions pour Emmanuel Macron.

Même si le président ne dépasse pas le plafond autorisé par la Commission des comptes, celle-ci a d'abord été interpellée par ces chiffres qui résultent de réductions, finalement jugées normales et habituelles par la Commission. Pourtant, lorsque l'on creuse, quelques montants paraissent très abordables, surtout lorsqu'ils sont comparés avec les montants d'un autre candidat, comme Benoît Hamon, par exemple, comme le révèle l'enquête. La cellule d'investigation de France Info a également enquêté et il semble que quelques rabais, qui peuvent s'avérer illégaux, ont échappé à la Commission des comptes.

Emmanuel Macron semble apprécier les meetings au sein de théâtres parisiens

Deux théâtres parisiens, deux meetings. C'est ce qu'il est possible de voir apparaître sur les factures du président, détenues par la Commission. Le 6 février 2017, Emmanuel Macron se rendait au théâtre Bobino, dans le 14e arrondissement de Paris et le 8 mars 2017 au théâtre Antoine dans le 10e arrondissement de Paris. Le propriétaire de ces deux lieux est le même : Jean-Marc Dumontet, détenteur de JMD Prod, également proche d'Emmanuel Macron durant sa campagne. Pour ces deux meetings, Emmanuel Macron a déboursé 6 000 euros. 3 000 euros chaque salle, donc. Un tarif qui semble en deçà de la norme, qui avoisine les 13 000 euros. Une somme qui, si elle s'avère exacte, traduirait un rabais de 75% pour Emmanuel Macron.

Pour en avoir le cœur net, France Info a appelé directement le théâtre Bobino. Et la réponse est sans appel : « On va partir sur du 11 000 euros hors taxes (13 000 euros TTC). Après si vous voulez de la vidéo-projection ou des machins comme ça, ce sera en supplément ». Une ristourne généreuse dont il est impossible d'en connaître les détails, faute de précision sur les deux factures. En effet, la facture ne précise que les prix « H.T. » et « T.T.C. » , le total « T.V.A. » et évidemment, le prix « net à payer ». Et ce, pour les deux théâtres. Aucune précision, donc, sur le prix ce que l'on peut voir habituellement sur un devis de location de salle, par exemple tout ce qui englobe la régie (son, lumières...).

Pour le propriétaire des lieux, cette ristourne n'est que l'effet d'une négociation insistante de la part du président, à laquelle il aurait cédé. En effet, l'équipe de FranceInfo s'est entretenue avec le propriétaire : « Ils m’avaient bloqué plusieurs dates. J’avais un peu râlé. Finalement ils sont revenus vers moi à la dernière minute, au moment où ils pouvaient négocier ». Une déclaration qui va à l'encontre de ce qu'a écrit Stanislas Guerini, député En Marche, lors d'un mail où il écrivait : « Je m'étais mis sur une date où le propriétaire de Bobino était prêt à nous mettre la salle à disposition à très faible coût ». Jean-Marc Dumontet, évasif, confie à FranceInfo qui lui demande le tarif auquel il a proposé la salle aux derniers clients qui ont souhaité la louer, qu'il « n’en [sait] rien parce que nous le faisons très peu ».

La Mutualité et la Bellevilloise

Le schéma semble se répéter pour les autres salles louées au cours de sa campagne. La Maison de la Mutualité a fait partie d'entre elles. Le gestionnaire de la salle, GL Events, a eu la main lourde sur les réductions accordées à Emmanuel Macron, bien qu'il en ait accordé à d'autres candidats, moindres, néanmoins. Médiapart révélait alors que GL Events, l'un des leaders du marché de l'événementiel, a octroyé une réduction de 26% sur la facture globale du meeting d’Emmanuel Macron, le 12 juillet 2016. Une remise dont ni François Fillon ni Benoît Hamon n’ont bénéficié. En revanche, lors du conseil national des Républicains, le 2 juillet 2016, le parti a bénéficié de 12% de remise globale. En substance, LR a payé 37 000 euros de plus qu’Emmanuel Macron.

Concernant la Bellevilloise, l'équipe d'Emmanuel Macron l'avait réservée le 2 mai 2017 afin d'organiser une soirée campagne pour Emmanuel Macron, sans Emmanuel Macron. Coût de la location ? 1 200 euros. Pourtant, il semblerait que le président d’En Marche n'ait payé que 900 euros HT, alors que Benoît Hamon, le 20 mars 2017 payait 4 838,40 pour la même salle. Oriza, la société qui possède les lieux a affirmé qu'il ne s'agissait pas d'une « remise liée à la nature du client ». La Commission n'a donc pas cherché plus loin. Pourtant, il serait normal de se demander pourquoi Benoît Hamon a payé les packs « son et vidéos » tandis qu'Emmanuel Macron se les est vus offrir. Pour la CNNCFP, rien d'anormal car il « paraît difficile d'affirmer, que les prestations fournies à Emmanuel Macron et Benoît Hamon sont sensiblement équivalentes ».

Mais ce n'est pas tout. En effet, l'équipe Macron s'est vue recevoir des marques de générosité à plusieurs endroits, de la part de plusieurs prestataires. Mvision, spécialisée dans les techniques liées aux grands événements, s'est elle aussi montrée très généreuse envers Emmanuel Macron. En tout, elle fait bénéficier d'une remise de 30% lors d'un rassemblement organisé le 17 avril, à Bercy, pour tout ce qui relève de l'équipement matériel. On passe alors de 66 000 euros à 45 020 euros. Selon Mvision, il ne s'agit ni plus ni moins d'un geste « habituel ». Même son de cloche pour Eurydice, « acteur majeur de la prestation audiovisuelle en France » qui a permis à Emmanuel Macron, lors d'un meeting de l'entre-deux-tours à Arras, de percevoir une réduction de 12 583 euros.

Selcontact, la générosité qui rapporte

Cette société est spécialisée dans le démarchage téléphonique. Et quand on se rapproche de ses chiffres la veille du premier tour, on comprend pourquoi elle a désiré se montrer généreuse envers Emmanuel Macron : 6,6 millions d'appels avec un message diffusé à chaque fois, laissant entendre le message suivant « Bonjour, c'est Emmanuel Macron...». Pour la diffusion de ce message, l'équipe d'Emmanuel Macron a économisé la somme de 64 000 euros. Laurent Delwalle, le PDG de la société s'est alors défendue auprès de la Commission des comptes : « Pour chaque commande d'un pack de 5.000.000 d'appels téléphoniques incluant la diffusion d'un message vocal, nos clients se voient attribuer (…) 1.600.000 unités gratuites, soit une remise de 24,24% ».

Il faut se rendre à Lyon pour trouver une nouvelle preuve d'un rabais susceptible d'interpeller. Lors d'une soirée sur une péniche, « La Plateforme ». Ce n'est pas un meeting. Il s'agit en fait d'une soirée réservée aux militants d'En Marche, qui sont invités, au frais de la princesse, à un rassemblement festif, ou Gérard Collomb, à l'époque maire et président de la métropole. La facture, qui s'élève à 996 euros TTC, après avoir été envoyée à la métropole de Lyon est renvoyée à En Marche qui de son côté, verse les frais de la facture aux comptes de la campagne d'Emmanuel Macron. Sachant que le prix « basique » de la privatisation de ce lieu avoisine les 3 000 euros, le cabinet de Gérard Collomb, interrogé par FranceInfo se défend en déclarant que le prix de 3 000 euros est appliqué pour « un événement de type mariage, de 15h à 4h du matin, un week-end, dans l’ensemble de la péniche, en incluant des prestations que nous n’avons pas sollicitées. »

Et la légalité, dans tout ça ?

La loi est claire : «Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat (...) en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués » stipule l'article L52-8 du Code électoral. Cet article, qui fait directement, en substance, référence aux ristournes appliquées pour, et seulement pour, Emmanuel Macron, est complété par l'article L52-17 qui précise que « lorsque le montant d'une dépense déclarée dans le compte de campagne (...) est inférieur aux prix habituellement pratiqués », la Commission des comptes invite le candidat « à produire toute justification utile à l'appréciation des circonstances ».

De son côté, le porte-parole d'En Marche, Benjamin Griveaux, nargue et affirme s'être entouré de bons communicants et négociateurs au micro de France Inter, pour se défendre de telles réductions : L'équipe Macron, « a embauché des gens (...) qui sont des pros de l'événementiel (...) et qui ont bien négocié ».

La Commission des comptes, elle, affirme que les comptes de campagne d'Emmanuel Macron ne comportent pas d'« irrégularités ». François Langelot, le président de la CNNCFP, lors d'une conférence de presse accordée après les nouvelles révélations de Franceinfo ce jeudi 7 juin, a déclaré que « personne n'est infaillible, mais nos rapporteurs ont fait un travail sérieux ». Pour le président de la Commission, s'il existe des différences de tarifs pour les candidats c'est parce que « très souvent les comparaisons portent sur des prestations de natures différentes, à des dates différentes. Il n'y a pas de comparaison possible ».

Source : France Info

Au sujet de l'auteur : Pauline Masotta

Journaliste