79% des Français croient à au moins « une théorie du complot » d'après une étude de l'IFOP

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Décidément, le fameux débat au sujet de la vérité, de la contre-vérité et autre post-vérité en ligne a de beaux jours devant lui. Alors que le gouvernement d'Emmanuel Macron a récemment annoncé vouloir se lancer dans la traque aux « fake news » en réglementant les contenus internet en période électorale, alors que Facebook lui-même paye différents grands médias pour contrôler les flux d'information diffusés sur son réseau, alors que la page du site satirique et parodique NordPresse se faisait supprimer par le réseau de Mark Zuckerberg aux côtés d'authentiques producteurs de désinformation et de contenus haineux, nous ne pouvons pas manquer de nous interroger sur ce phénomène, à la fois inédit par son intensité, et à la fois vieux comme l'histoire de la presse, voire de la politique. Où se trouve la frontière entre information et propagande ? Où se situe la fine limite qui sépare la protection des internautes de la censure d'État ?

Parallèlement à cela, une récente étude IFOP réalisée conjointement pour la Fondation Jean-Jaurès et l’observatoire Conspiracy Watch, publiée ce dimanche 7 janvier, a depuis été largement relayée et partagée par la plupart des sites d'information. L'enquête en question, intitulée « le conspirationnisme dans l'opinion publique française » et réalisée en ligne auprès de 1 252 personnes, ambitionne justement de faire la lumière sur les inquiétudes grandissantes quant à la circulation sur internet de « fake news » et de théories complotistes. 

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Ce faisant, elle confirme ce que tout le monde savait plus ou moins déjà : les sphères politiques, et le monde de l'information en général, traversent une véritable crise de confiance et de défiance vis-à-vis de la population, ou tout au moins d'une certaine fraction de la société. Et ce climat de défiance se traduit, concrètement, par des chiffres proprement ahurissants concernant la diffusion dans l'opinion publique de certaines théories que tout cerveau, un minimum fonctionnel, aurait tôt fait de qualifier de totalement absurdes.

20% de personnes croient à la théorie des « chemtrails »

Selon l'étude, pas moins de 9 % des personnes seraient adeptes du platisme ( le fait de croire encore, en 2018, que la Terre est plate), et 20% adhèrent à la théorie des chemtrails — thèse « fumeuse » selon laquelle les traînées de condensation laissées par les avions seraient en réalité un moyen mis en œuvre pour contrôler l'humanité au moyen de produits chimiques toxiques, modifier le temps, communiquer avec des extra-terrestres ou accomplir d'obscurs objectifs militaires. 

De même,16 % seraient prompts à remettre en cause la mission Apollo (« les Américains ne sont jamais allés sur la Lune »), 28% seraient enclins à déclarer que des sociétés secrètes gouvernent notre monde, et pas moins de 31 % n'hésiteraient pas à affirmer que les attentats perpétrés par Daesh pourraient être en réalité une opération sous fausse bannière, secrètement mise en place par le gouvernement.

Mais, parmi les théories complotistes plus ou moins farfelues, on trouve également l'adhésion aux thèses créationnistes (« Dieu a créé l’homme et la Terre il y a moins de 10 000 ans ») qui représenteraient 18 % des sujets interrogés. En tête parmi les « théories du complot » les plus répandues, on trouve la remise en question de l'innocuité des vaccins (55%) et l'hypothèse de l'assassinat du président Kennedy par la CIA (54%).

8 Français sur 10 sont-ils vraiment adeptes des thèses complotistes ?

Tout cela, avec au final un chiffre fort : seules 21 % des personnes interrogées ne croient à aucune des théories qui  leur ont été soumises, via différentes assertions. Ce qui signifie, logiquement, que 8 Français sur 10 (79%) croient donc à au moins une « théorie du complot » ! 

Ce chiffre, largement relayé ici et là par la presse, est lui aussi a remettre dans son contexte : dans les différentes affirmations qui ont été formulées, les analystes font un distingo entre le complotisme, et  le fait d'émettre des doutes ou des réserves au sujet de la '« version officielle ».

Ainsi, lorsque l'IFOP avance que la théorie du complot sur le 11 septembre 2001 remporte « 35 % d'adhésion », il faut en réalité comprendre que, sur l'ensemble des propositions qu'ils pouvaient choisir, 29% des personnes interrogées ont choisi de dire qu'il était possible qu' « au sein du gouvernement Américain, certains ont eu connaissance des attentats mais ont délibérément laissé faire ». Les personnes ayant choisi l'affirmation la plus radicale « des membres de l'administration et du gouvernement américain ont planifié et orchestré activement les attentats du 11-septembre » ne sont en réalité qu'au nombre de... 6%.

D'ailleurs, dans le texte présentant les différents résultats de l'étude, les analystes de l'IFOP eux-mêmes insistent bien sur ce point : il faut nuancer le résultat, et distinguer les complotistes « endurcis » (qui représentent tout de même 2 Français sur 10) de ceux qui émettent des doutes ou des réserves, et que l'étude qualifie de « ventre mou » (en tout, un peu plus d'un sondé sur deux). 

Aussi, lorsqu'on déclare que seul 21 % des personnes interrogées ne croient à aucune des théories du complot, on pourrait tout aussi bien formuler la chose de la manière suivante : 21 % des Français sont prêts à ne jamais remettre en question les faits qui leur sont présentés par les médias ou par le gouvernement. Et que 79% des Français sont prêts à remettre en question ou a émettre des doutes sur au moins une des versions officielles des faits qui lui sont présentés — à tort ou à raison.

Fausses théories, vraie défiance

En somme, ce qui doit vraiment nous préoccuper, ce n'est peut-être pas l'authenticité des théories du complot, mais bien le fait que leur existence même traduit un climat de méfiance par rapport aux sources d'information officielles. Et ceci, alors même qu'il n'y a jamais eu autant de sources d'information différents possibles depuis l'avènement de l'ère internet (souvenez-vous du temps où il n'existait que 3 chaînes de télévision et quelques journaux !)

Les médias n'ont jamais été infaillibles, mais il semble qu'aujourd'hui les Français soient de plus en plus nombreux à facilement les remettre en question. Ainsi, pour 36% des sondés de l'enquête, les médias ont une marge de manœuvre limitée « et ils ne peuvent pas traiter comme ils le voudraient certains sujets » car ils sont « largement soumis aux pressions du pouvoir politique et de l’argent ».

On laissera au lecteur le soin décider lui-même si cette dernière affirmation est une théorie du complot, ou l'expression d'une certaine forme de réalité...

Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste