« L'homme le plus laid du monde » : connaissez-vous Maurice Tillet, le catcheur français qui aurait inspiré le personnage de Shrek ?

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Retour sur l'incroyable vie de Maurice Tillet, l'homme qui aurait servi d'inspiration pour créer l'un des plus célèbres personnages des studios DreamWorks.

Vous n'avez certainement jamais entendu parler de Maurice Tillet et pourtant, ce sportif et showman français est l'un des plus célèbres catcheurs de l'histoire aux États-Unis. Atteint d'un trouble hormonal qui lui donnait un physique et un visage hors du commun, celui qui était surnommé « l'ogre monstrueux du ring » a connu un destin romanesque.

Tour à tour marin, rugbyman puis star du catch, on dit de lui qu'il aurait inspiré le personnage de Shrek. Mais qui était donc ce drôle de bonhomme à la gueule unique, décédé en 1954 ? Portrait d'un mythe.

Maurice Tillet, l'homme qui aurait inspiré le personnage de Shrek

Monstre hideux pour les uns, force de la nature pour les autres. Voilà ce qu'était Maurice Tillet aux yeux de ceux qui osaient le regarder.

Né le 23 octobre 1903 dans l'Empire russe au cœur de l'Oural, où son père, ingénieur français venu de Bordeaux, prêtait main-forte aux autorités pour la construction du Transsibérien, Maurice Tillet grandit dans un cadre privilégié au sein d'une famille cultivée. Sa mère, professeur de Français à Moscou, lui transmet l'amour des langues que cet élève studieux apprend très vite au point de devenir polyglotte dès l'adolescence, parlant couramment le russe, le lituanien, le bulgare ou encore l'Anglais. 

Enfant d'une rare beauté, on le surnomme « L'ange » à l'époque, en raison d'un visage harmonieux que l'on se plaît à regarder. Tout semble réussir à ce petit garçon surdoué et sensible, qui dévore les livres de Marcel Proust. Son enfance est toutefois marquée par le décès prématuré de son père. Le déclenchement de la révolution russe en 1917 l'oblige à rentrer en France avec sa mère. Tous deux s'installent à Reims après un bref passage par Madagascar. Alors âgé de 14 ans, sa vie jusqu'ici sans accroc s'apprête à connaître un tournant.

Vers la fin de son adolescence, Maurice remarque de drôles de changements sur son corps, constatant notamment que ses pieds mais aussi ses mains, sa tête ou encore son cou enflent à vue d'œil.

Très vite, son physique change jusqu'à le rendre difforme, provoquant les moqueries et autres brimades de ses camarades de classe. Maurice se renferme sur lui-même et ne comprend pas ce qui lui arrive. Ce n'est qu'à la majorité qu'un médecin parvient à mettre des mots sur ses maux, en lui diagnostiquant une acromégalie. Cette maladie hormonale rare est provoquée par une tumeur bénigne de la glande pituitaire. À cause de cette pathologie, ses os s'épaississent de manière démesurée et sa métamorphose est hélas irréversible. Le jeune homme doit alors affronter le regard des autres qui le dévisagent telle une bête de foire. Mais il n'a d'autre choix que d'apprendre à vivre avec ce handicap. À l'aube de la vingtaine, il doit avancer. La vie continue malgré tout.

Il se rêvait poète, il choisit finalement le droit et s'inscrit à l'université de Toulouse pour embrasser une carrière d'avocat. Mais là encore, la maladie va mettre fin à ses espérances. L'acromégalie s'attaque en effet à ses cordes vocales et sa voix s'en trouve profondément abîmée. Il ne pourra donc jamais se lancer dans de passionnantes plaidoiries enflammées devant un tribunal. Maurice Tillet abandonne ses rêves de robe noire et, une fois la déception digérée, décide de s'engager dans la marine. Il y restera cinq ans en tant qu'ingénieur.

La marine, le rugby puis le catch

Marin sur le cuirassé Richelieu stationné dans la rade de Toulon (Var), il découvre au début des années 30 une nouvelle vie sur la Côte d’Azur et se prend de passion pour un sport dans lequel ses capacités physiques hors normes le font sortir du lot : le rugby. Il pratique également la lutte gréco-romaine, une discipline dans laquelle il excelle. Durant cette même époque, son faciès qui ne passe pas inaperçu attire même le cinéma et il apparaît dans deux longs-métrages, notamment Princess Tam Tam, en 1935, avec Joséphine Baker. Mais c'est avec le catch qu'il va définitivement se faire un nom.

Il découvre ainsi cette lutte d'un nouveau genre dès 1937 lors d'un séjour à Singapour, à l'occasion d'une rencontre avec le lutteur professionnel Carl Pojello. Très attiré par cette discipline qui mêle sport de combat et spectacle, Maurice commence alors une carrière de catcheur sous le pseudonyme d'Ange Tillet, en référence au surnom qu'on lui donnait enfant et qui tranche ironiquement avec son physique déformé par la maladie.

Comme il fallait s'y attendre, c'est d'abord son visage qui attire les foules et la presse, laquelle évoque parfois le catcheur en des termes crus. C'est notamment le cas en 1938 lorsque la plume d'un journaliste du « Petit Provençal » décrit Maurice comme « l'homme le plus laid du monde ».

Ce visage si rebutant pour certains va pourtant devenir sa marque de fabrique et faire de lui une star. Après un entraînement d'un an, aux côtés de Carl Pojello et quelques combats en Europe ainsi qu'en Amérique du Sud, il rejoint en 1939 les États-Unis, où la gloire l'attend.

Crédit photo : DR

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Dans les années 40, Maurice Tillet va ainsi devenir l'une des plus grandes stars du catch outre-atlantique, où son physique atypique et son sens inné du spectacle collent parfaitement à la discipline. Rapidement surnommé le « Freak ogre of the ring » (« L'ogre monstrueux du ring »), ou encore « The French Angel » (« L'Ange Français »), il fait sensation et enchaîne les combats à succès. Pendant deux ans, de mai 1940 à mai 1942, il sera le champion du monde de l'American Wrestling Association (AWA), ancienne fédération de catch nord-américaine - aujourd'hui disparue - basée à Minneapolis (Minnesota). 

Ses qualités et son gabarit (1m73 pour un poids compris entre 115 et 127 kg) font déplacer les foules et l'amènent à se produire devant des salles combles. Réputé invincible, il devient très populaire grâce notamment au promoteur Paul Browser qui fait de lui une star du côté de Boston. Sa notoriété dépasse même les frontières américaines puisqu'il remporte également des combats à Montréal au Canada. Signe de son succès, il voit apparaître des challengers qui copient son style et reprennent son surnom de « L'Ange ». Il affrontera même l'un d'entre eux, venu de Suède, à plusieurs reprises. Alors que la Seconde Guerre mondiale bat son plein en Europe, Maurice Tillet vit à cette époque son rêve américain.

Crédit photo : Wikimedia Commons

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Mais à partir de 1945, sa santé commence à décliner à cause de l'acromégalie. Il continue néanmoins le catch mais de manière moins régulière. Le 14 février 1953 à Singapour, il dispute son dernier combat qu'il perd face à Bert Assirati.

Il meurt le 4 septembre 1954 à Chicago (Illinois), à l'âge de 50 ans, des suites de complications cardiaques liées à sa maladie. Sur son lit de mort, il autorise son collègue Bobby Managain, lui aussi champion de catch, à réaliser 3 masques funéraires. L'un de ces derniers est aujourd'hui conservé au York Barbell Museum dans le Weight Lifting Hall Of Fame (« Temple de la renommée de l'haltérophilie ») à York en Pennsylvanie. Les deux autres furent la propriété de l'homme d'affaires Patrick Kelly, grand ami de Maurice Tillet. Celui-ci fit don d'un exemplaire à l'International Wrestling Museum, situé dans l'Iowa, et garda le troisième pour sa collection personnelle.

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La vie romanesque de Maurice Tillet reste méconnue en France, à l'inverse des États-Unis, malgré l'impact qu'il aura eu sur sa discipline. Mais plus que sa carrière de catcheur, c'est évidemment son faciès qui est resté dans les mémoires au point de faire naître une rumeur persistante qui prétend que son visage et son physique auraient inspiré celui du personnage Shrek. Il faut reconnaître qu'une certaine ressemblance existe entre les deux mais rien ne permet d'affirmer s'il s'agit d’un fait établi.

Le mystère demeure d'autant que les studios DreamWorks, créateurs du célèbre ogre vert, n'ont jamais confirmé ni infirmé la véracité de cette rumeur.


Au sujet de l'auteur : Mathieu D'Hondt

Évoluant dans la presse web depuis l’époque où celle-ci n’en était encore qu’à ses balbutiements, Mathieu est un journaliste autodidacte et l’un de nos principaux rédacteurs. Naviguant entre les news généralistes et les contenus plus décalés, sa plume s’efforce d’innover dans la forme sans jamais sacrifier le fond. Au-delà de l’actualité, son travail s’intéresse autant à l’histoire qu’aux questions environnementales et témoigne d’une certaine sensibilité à la cause animale.