« On se lève et on se casse. C'est terminé », la tribune incendiaire de Virginie Despentes après le sacre de Roman Polanski aux César

Le soir du vendredi 28 février dernier a vu Roman Polanski être récompensé du César de la meilleure réalisastion pour son film “J’accuse”. Le prix qui lui a été décerné en son absence a créé de vives polémiques et une vague d’indignation dans le milieu du cinéma français.

La 45e cérémonie des César qui s’est tenue le vendredi dernier dans la salle Pleyel, à Paris, a suscité énormément de bruits et de tensions dans le monde du cinéma français depuis le sacre annoncé du réalisateur Roman Polanski, pour son film « J’accuse ». Absent tout comme les membres de son équipe, Polanski est accusé de violences sexuelles par 12 femmes depuis de nombreuses années, notamment aux États-Unis, pays qu'il fuit depuis.

Cependant, jouissant d'une certaine immunité en France, il a raflé trois distinctions lors de cette cérémonie. Une consécration qui n’est pas du goût de Adèle Haenel, Céline Sciamma, Noémie Merlant et quelque dizaines d’autres qui ont quitté la salle aussitôt après.

Adèle Haenel boude et tacle

Très remontée, Adele Haenel, a lâché quelques mots : « Vive la pédophilie ! Bravo la pédophilie ! » au moment où elle se dirigeait vers la sortie. Pour rappel, à l'automne dernier, l'actrice était devenue la nouvelle porte-parole du mouvement #MeToo en dénonçant les attouchements sexuel et le harcèlement sexuel qu'elle a subi de la part du réalisateur Christophe Ruggia, lorsqu'elle était plus jeune dans sa carrière. 

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Après sa colère, elle s’est livrée sur Médiapart en parlant d’une réduction au silence de leur cause. « Ils pensent défendre la liberté d’expression, en réalité ils défendent leur monopole de la parole. Ce qu’ils ont fait hier soir, c’est nous renvoyer au silence, nous imposer l’obligation de nous taire. Ils ne veulent pas entendre nos récits. Et toute parole qui n’est pas issue de leurs rangs, qui ne va pas dans leur sens, est considérée comme ne devant pas exister. » a-t-elle laissé entendre avant d’ajouter ses mots : « Ils font de nous des réactionnaires et des puritaines, mais ce n’est pas le souffle de liberté insufflé dans les années 1970 que nous critiquons, mais le fait que cette révolution n’a pas été totale, qu’elle a eu un aspect conservateur, que, pour partie, le pouvoir a été attribué aux mêmes personnes ».

La tribune salée de Virginie Despentes

D’autres voix se sont aussi élevées pour dénoncer la consécration du réalisateur Roman Polanski. Dans une tribune sur Libération, Virginie Despentes n’a pas mâché ses mots. La romancière, victime de viol dans son adolescence, a vivement salué le départ de la salle d’Adele Haenel : « la plus belle image en quarante-cinq ans de cérémonie », se félicite-t-elle dans un ton mélancolique.

« Ton corps, tes yeux, ton dos, ta voix, tes gestes tout disait : oui on est les connasses, on est les humiliées, oui on n'a qu'à fermer nos gueules et manger vos coups, vous êtes les boss, vous avez le pouvoir et l'arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire, écrit Virginie Despentes. Vous n'aurez pas notre respect. On se casse. »

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Dans sa tribune de ce lundi 2 mars, l’autrice de King Kong Théorie où elle parle de son viol subi, a adressé de grosses piques aux ‘‘puissants" qu’elle reproche de se protéger entre eux. « Si le violeur d'enfant c'était l'homme de ménage alors là pas de quartier : police, prison, déclarations tonitruantes, défense de la victime et condamnation générale. Mais si le violeur est un puissant : respect et solidarité. ».

À cela elle ajoute : « Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse. C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir. »

Virginie Despentes a aussi analysé l'absence de récompense notable pour le dernier film de Céline Sciamma, dans lequel Adèle Haenel joue un rôle : « Si Portrait de la jeune fille en feu ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c'est uniquement parce qu'Adèle Haenel a parlé et qu'il s'agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu'elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence. »

Pour terminer sa missive, Virginie Despentes a rejeté l' « imbécillité de séparation entre l'homme et l'artiste », de ceux qui appellent à distinguer l'œuvre de Roman Polanski du reste du personnage : « Toutes les victimes de viol d'artistes savent qu'il n'y a pas de division miraculeuse entre le corps violé et le corps créateur. On trimballe ce qu'on est et c'est tout. Venez m'expliquer comment je devrais m'y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire, bande de bouffons. »

Schiappa tire égalment 

La secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, s’est aussi prononcée sur la cérémonie des César dans une tribune dans Libération. Elle s’est indignée sur ce qui s’est passé et s’aligne : « Alors que je m’époumone toute l’année à porter les dispositifs qui permettent aux femmes de porter plainte et d’obtenir justice après un viol ou une agression sexuelle (...) Comment voulez-vous que l’on tolère d’entendre pour que le cinéma reste une fête…' comme si celles qui parlent gâchaient la fête ? »

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Pour elle, la cérémonie des César n’est pas un tribunal mais il faut dénoncer les actes de violences sexuelles : « Si vous tenez tant vous aussi à ce que le cinéma reste une fête, ne violez pas, ne touchez pas les fesses, les seins, les cuisses des femmes qui n’ont pas exprimé leur consentement ».

Les soutiens envers le réalisateur Polanski n’ont pas cependant manqué mais ils restent discrets.

Vendredi soir, l’actrice Fanny Ardant, qui a décroché une statuette pour son rôle dans La Belle Époque, déclarait : « Je suivrai quelqu’un jusqu’à la guillotine, je n’aime pas la condamnation ». Mathilde Seigner, sœur d’Emmanuelle Seigner, la compagne de Polanski, lui a aussi apporté son soutien.

D’autres réactions se sont faites dans le mea-culpa. Sara Forestier, qui avait regretté de n’avoir pas « quitté la salle » et pointé la « responsabilité » des gens du cinéma français, a depuis effacé son post Instagram. Jean Dujardin, qui joue dans J’accuse, a également effacé entre vendredi soir et samedi son message : « Je voudrais simplement rappeler que J'accuse est le titre d'un article assez célèbre d'Émile Zola, j'espère que cela ne gêne personne ? Bonne soirée ! »

Source : Tribune Libération

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Au sujet de l'auteur : Salmane S

Journaliste