Sortir du glyphosate : le défi difficile, mais pas insurmontable, qui attend Nicolas Hulot pour les quatre années à venir

Demain, mercredi 25 octobre, les représentants des 28​ États membres de l'Union Européenne rendront publique leur décision de prolonger, ou non, la validité de la​ ​licence​ ​d’exploitation​ ​du​ ​glyphosate​ au sein de ​l’UE.

Cette licence arrivant à expiration le 15 décembre 2017, la Commission européenne avait d'abord proposé de la renouveler pour 10 années supplémentaires. Mais aujourd'hui, 24 octobre, alors que les négociations poursuivent leur cours, Bruxelles a déjà annoncé revoir ses ambitions à la baisse et propose de renouveler la licence pour une durée de cinq à sept ans. Quoi qu'il advienne, pour faire passer cette proposition, la commission aura besoin de l'approbation d’une majorité qualifiée (55 % des 28​ ​États, représentant 65 % de la population européenne). Or, la France aura une position clé dans le débat.

Classé comme un « cancérigène probable » pour l'humain selon un rapport de 2015 du Centre International de recherches contre le cancer (CIRC) de l'OMS, le glyphosate, un puissant herbicide notamment commercialisé par Monsanto sous le nom de Roundup, est aujourd'hui au cœur du débat. Le mois dernier, une étude commandée par l'ONG Générations futures, avait révélé avoir découvert des traces de l'herbicide dans de nombreux aliments et produits de consommation courante.

Épandage manuel de pesticides /Shutterstock

Le ministre de la transition énergétique Nicolas Hulot, affirmait récemment qu'il se donnait « le quinquennat pour interdire [le glyphosate] » mais aussi pour « programmer une sortie de l’ensemble des pesticides et insecticides ». Avant de nuancer son propos, en proposant un renouvellement limité à trois ans, mais dans tous les cas « en dessous de cinq ans » afin de parvenir à une sortie en douceur de ces produits, tout en laissant le temps de trouver des alternatives adaptées.

En tout cas, l'ancien patron d'Ushuaïa, qui tient à ce que la sortie du glyphosate s'effectue sous son mandat, a d'ores et déjà annoncé que la France voterait contre la proposition de la Commission européenne de prolonger pour dix ans l'autorisation de l'herbicide.

Nicolas Hulot / Shutterstock

Faut-il interdire totalement le glyphosate ? Le débat sur la molécule n'est pas aussi simple, ni aussi manichéen qu'il n'y paraît. Pourtant, on peut le résumer assez simplement :

Du côté des anti-glyphosate, on fait valoir que la molécule a été reconnue comme étant « un cancérigène probable » sur un rapport de l'OMS rendu public en 2015. Certes, les risques de toxicité pour l'homme sont encore incertains, et l'étude effectuée par l'institution de l'ONU pour la santé publique a depuis été contredite depuis par d'autres études… Mais le 14 septembre dernier, l'ONG Générations futures lève un lièvre : sur une trentaine d'aliments de consommation courante analysés dans le cadre d'une étude effectuée par l'organisation, plus de la moitié des produits analysés contiennent du glyphosate, à l'insu total des consommateurs.

Côté pro-glyphosate à présent, on trouve de nombreux professionnels du secteur, qui s'inquiètent de la possible disparition de la molécule sans alternative viable pour les exploitations qui en font aujourd'hui l'usage. Il faut savoir que le glyphosate est très apprécié par de nombreux agriculteurs, parce qu'il permet d'éviter d'avoir à labourer la terre pour arracher les mauvaises herbes, ce qui réduit la pénibilité du travail.

Il permet aussi de nettoyer rapidement une parcelle entre deux semis, et évite ainsi l'emploi répété de machines agricoles coûteuses et polluantes, qui contribuent à l'érosion des sols. En ce sens, les défenseurs du glyphosate font valoir qu'il est « plus écologique » que le travail de désherbage mécanique. Le revers de la médaille, c'est que s'il permet effectivement d'éviter les gaz à effet de serre des engins de labour, ce produit est toxique pour certains organismes aquatiques, et certaines plantes peuvent développer une résistance (c'est aussi le cas pour un bon nombre d'autres herbicides).

Mais le plus gros problème, au fond, réside dans la difficulté de la conversion pour les producteurs qui sont déjà équipés pour ne fonctionner qu'avec l'herbicide. L'utilisation du glyphosate étant un point central de leur système de production, il leur faudrait réaliser des investissements conséquents pour changer leur mode de culture. Hors de question, pour ces agriculteurs, de se passer de la molécule du jour au lendemain, sans aucune alternative, sous peine de voir leurs activités menacées de faillite à cause d'une charge financière trop importante.


Des alternatives au « zéro glyphosate » existent déjà

Alors, est-il possible de se passer du glyphosate ? Certains agriculteurs affirment que non : en effet, depuis plusieurs années, ces derniers ont dû investir de l'argent dans un modèle de production qui repose, en grande partie, sur l'utilisation de ce produit. C'est notamment grâce au glyphosate que leurs exploitations peuvent fonctionner comme elles le font aujourd'hui. De leur point de vue, hors de question de s'en passer, sous peine de voir leurs activités menacées de faillite.

Les alternatives, c'est justement ce que dit rechercher Nicolas Hulot lorsqu'il évoque un délai de trois ans pour sortir totalement du glyphosate : « Pendant ces trois ans, on regarderait tout ce qu'on peut trouver en termes d'alternatives, et aider ceux pour lesquels l'utilisation du glyphosate est indispensable à se pencher sur d'autres pratiques et d'autres techniques », explique-t-il sur RTL.

Cependant, certains déclarent que de plus en plus d'agriculteurs témoignent déjà de leur conversion réussie au zéro glyphosate. Dans un reportage diffusé sur BFM TV, Félix Noblia, un jeune agriculteur des Pyrénées-Atlantiques, explique ainsi qu'il « gagne bien mieux sa vie » depuis qu'il a banni tous les produits chimiques de son exploitation.

Pour régler le problème du désherbage, il a décidé de laisser tout simplement la nature travailler à sa place. En laissant l'herbe pousser sur ses champs pour les transformer en paillage (comprenez, un tapis végétal qui couvre le sol et empêche les mauvaises herbes de voir la lumière, tout en conservant l'humidité et en nourrissant le sol), il arrive a se passer totalement de produit désherbant, sans pour autant devoir tout faire manuellement.

Résultat : au lieu de toucher 200 € de marge nette par hectare avec l'utilisation de produits chimiques, Félix Noblia gagne aujourd'hui près de 1 500 € pour la même surface !

Le secret de ce miracle réside dans une réduction énorme des charges, puisqu'il n'a pas besoin de traiter ses parcelles… mais aussi dans une amélioration des rendements car cette technique nourrit un peu plus les sols année après année.

En contrepartie, il a dû tout de même faire de gros investissements : sa conversion lui aura coûté près de 100 000 euros. Un changement de méthode de travail très intéressant sur le long terme, mais malheureusement pas encore à la portée de toutes les bourses.

Sur France inter, autre son de cloche, avec des producteurs qui se sont eux aussi mis au zéro herbicide, mais en utilisant le désherbage manuel : pour eux, ce mode de culture demande de gros sacrifices, car même si c'est rentable, c'est « beaucoup plus de boulot ».

Interrogé par la radio publique, l'un de ces agriculteurs récemment convertis explique toutefois qu'il s'en sort aussi bien qu'avec l'agriculture conventionnelle, notamment, là aussi, grâce aux économies effectuées en chimie sur sa ferme, « qui représente en moyenne 150 euros par hectare, soit l'équivalent du prix d'une tonne de blé ». Mais sans équipement spécialisé, ce mode de production demande beaucoup de main-d’œuvre en contrepartie, et de planification puisqu'un tel système implique de mettre en place un système de rotation des cultures pour lutter contre l'appauvrissement des sols.



Si l'agriculture Française se dirigeait à terme vers une sortie progressive de l'utilisation d'herbicides et autres intrants chimiques, il faudra nécessairement guider et accompagner les agriculteurs vers cette transition, qui ne pourra pas s'effectuer sans eux.

Pour beaucoup, une réforme des modes de production est nécessaire. Mais cette nouvelle révolution verte ne pourra pas non plus se faire au détriment de l'agriculture, un secteur déjà largement en crise. Ce cap sera-t-il franchi tout en permettant aux agriculteurs et aux agricultrices de disposer des aides et du soutien adéquats de la part de l'état ? Nicolas Hulot et son ministère de la transition énergétique auront trois ans pour tâcher d'y parvenir.

Une mission audacieuse, difficile, mais heureusement pas impossible.


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Au sujet de l'auteur : Nathan Weber

Journaliste