“Safaris humains” : des “touristes” italiens accusés d'avoir payé pour tuer des civils pendant la guerre de Bosnie

En Italie, un procès s’attaque aux “touristes de guerre”. Des ressortissants italiens sont accusés d’avoir payé pour s’offrir le "plaisir" de tuer des civils durant la guerre de Bosnie, entre 1992 et 1996.

C’est le procès de la honte qui s’est ouvert cette semaine à Milan, en Italie. Sur le banc des accusés, des citoyens italiens aisés et fortunés, accusés d’avoir participé à des “safaris humains” pendant la guerre de Bosnie entre 1992 et 1996.

Aux côtés de Français, d'Allemands et autres Britanniques, ces Italiens auraient ainsi déboursé « d'énormes sommes » d'argent auprès des forces serbes de Bosnie, pour se mettre dans la peau d'un sniper, posté sur les collines encerclant la capitale, et participer au massacre de civils.

Entre 1992 et 1996, durant les quelque 1 400 jours de siège, plus de 11 500 personnes (dont 1 600 enfants) ont été tuées à Sarajevo. Les civils étaient systématiquement pris pour cibles par leurs tireurs d'élite, notamment sur l'avenue principale de la ville, surnommée à cette occasion Sniper alley. Pire encore, le tarif augmentait pour avoir le droit de tirer sur des enfants.

Sarajevo pendant la guerre de BosnieCrédit photo : Wikimedia

Dès les années 1990, les premiers échos de ces « chasseurs » occidentaux sont relayés dans la presse. Bien des années après, le journaliste Luca Leone évoquera lui aussi l'affaire dans son livre baptisé “I bastardi di Sarajevo”, avant que le réalisateur slovène, Miran Zupanic, y consacre un documentaire entier en 2023, intitulé “Sarajevo Safari.”

Entre 80 000 et 100 000 euros le week-end de “chasse”

C’est finalement l’écrivain Ezio Gavazzeni qui dépose plainte l’hiver dernier pour homicide volontaire aggravé, menant à l’ouverture d’une enquête. Avec sa plainte, il remet notamment un dossier de dix-sept pages aux autorités judiciaires. Un dossier étayé par un ex-juge italien, Guido Salvini, et l'ancienne maire de Sarajevo, Benjamina Karic, qui contient également le témoignage d'un membre du renseignement bosnien de l'époque.

Ezio Gavazzeni révèle ainsi que dès le début de l'année 1994, les services de renseignement militaire transalpin (le Sismi) auraient été alertés par leurs homologues bosniens sur ces excursions sanguinaires et la participation de plusieurs ressortissants italiens.

La justice italienne face aux touristes de la guerreCrédit photo : iStock

Des hommes, principalement originaires de Lombardie, du Piémont ou du Triveneto, passionnés d'armes pour beaucoup et liés pour certains aux milieux d'extrême droite. L'un des tireurs d'élite italiens identifiés dans les collines surplombant Sarajevo en 1993, et signalé au Sismi, était originaire de Milan et propriétaire d'une clinique privée spécialisée en chirurgie esthétique.

Convoyés jusqu'à Belgrade puis à Sarajevo, les « clients » étaient alors pris en charge par les Serbes de Bosnie et leur chef, Radovan Karadzic, condamné en 2016 pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Le week-end de « chasse à l'homme », lui, coûtait entre 80 000 et 100 000 € avec une « grille tarifaire » spéciale selon le type de civil visé. Interrogé par La Repubblica, Ezio Gavazzeni évalue à plus d'une centaine le nombre de « touristes de guerre » occidentaux. 30 ans après les faits, il espère que la justice parviendra à découvrir au moins une dizaine de ces “touristes” de guerre.


author-avatar

Au sujet de l'auteur :

Journaliste