Woke, wokisme : origine et signification

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Woke, wokisme ? Que veulent dire ces mots galvaudés que l’on entend sur tous les plateaux télé aujourd’hui ? Explications.

Si vous suivez un tant soit peu l'actualité et que vous êtes un habitué des débats houleux à la télévision, vous n'avez pas pu passer à côté du mot « woke ».

Difficile en effet d'échapper à ce terme - associé à différentes luttes dont le mouvement « Black Lives Matter » - car il semble désormais sur toutes les lèvres lorsque les discussions s'articulent autour de l'égalité des droits.

Le sujet est même venu s'inviter à la table des critiques concernant le remake du film West Side Story, signé Steven Spielberg, qui pour certains auraient succombé aux sirènes du wokisme pour son adaptation.

Depuis des mois maintenant, cet anglicisme n'a de cesse d'être utilisé dans la sphère politico-médiatique, au point d'être repris à toutes les sauces, notamment par les politiques et autres chroniqueurs issus de la droite conservatrice, qui y voient une idéologie supposée face à laquelle il ne faudrait rien céder.

Le polémiste d'extrême droite et candidat à l'élection présidentielle, Eric Zemmour, en a par exemple fait l'une de ses croisades, s'inquiétant ainsi des dangers « du wokisme ». Quant au quotidien Le Figaro, il a récemment publié une Tribune qui appelait à défendre « le modèle républicain », face « au wokisme ».

Mais que veut dire « woke » et que désigne-t-il ? Difficile à dire tant il semble représenter une multitude de combats plus ou moins identifiés et que l'on a bien du mal à cerner.

« Woke » est un mot anglais qui se traduit par « éveillé ». Crédit photo : DR

Ça veut dire quoi Woke ?

« Woke » est un mot anglais qui se traduit par « éveillé ».

Selon le dictionnaire Merriam-Webster (qui est aux Américains ce que Le Larousse est pour nous), se réclamer « du wokisme » ou être « woke » signifie « être activement attentif à d'importants faits ou problèmes, notamment les questions raciales et l'égalité sociale ».

Étymologiquement parlant, le sens initial du mot possède donc une connotation positive mais celle-ci s'est peu à peu étiolée, à tel point que personne ou presque ne l'utilise aujourd'hui pour se définir. Aucun consensus n'existe sur le groupe ou l'idéologie que le terme « woke » est censé désigner. Outre-Atlantique, le mot est généralement utilisé pour décrédibiliser voire dénigrer les mouvements politiques de gauche mais aussi certains universitaires, des personnalités qualifiées de progressistes ou encore des militants pour l'égalité des droits.

Quelle est l'origine du mot « woke » ?

L'emploi du terme « woke » au sens où on l'entend n'est pas si récent. Son usage prend sa source dans les luttes sociales qui sont nées dans la deuxième partie du XXe siècle.

Il faut ainsi remonter aux années 1950 pour en trouver trace, à une époque ou des activistes noirs, qui défendaient le droit à l'égalité aux États-Unis, ont commencé à utiliser le mot « woke » dans leur discours.

Dans un article du New York Times, publié en 1962 et repéré par France Info, l'écrivain William Melvin Kelley expliquait ainsi qu'être « woke » était une invitation à une prise de conscience de sa propre place dans la société en tant qu'Américain noir.

En dépit de cette utilisation relativement ancienne, il faudra toutefois attendre 2014 et les émeutes de Ferguson (Missouri) - provoquées par l'homicide d'un jeune noir, Michaël Brown, tué par un policier blanc - pour que le mot « woke » fasse une entrée fracassante dans les débats politiques et médiatiques.

À l'époque, le hashtag #StayWoke se répand ainsi comme une traînée de poudre sur Twitter et les réseaux sociaux, appelant le plus grand nombre de militants à se joindre à cette lutte pour l'égalité des droits et contre l'animosité, notamment policières, contre les personnes noires.

Pourquoi le mot « woke » est-il devenu péjoratif ?

Très rapidement pourtant, « woke » évolue dans le discours public et devient un mot  courant au point d'être intégré dans différents dictionnaires.

En France par exemple, les termes « woke » et « wokisme » devraient très prochainement faire leur entrée dans le célèbre Petit Robert, comme l'expliquait en novembre dernier Charles Bimbenet, le patron des éditions Robert.

Mais son utilisation, qui fait appel à des idées mal identifiées, devient vite fourre-tout et galvaudée pour le plus grand bonheur de ceux qui veulent dénigrer ou se moquer de certains combats. 

Peu à peu, de nombreuses personnes vont en effet avoir tendance à utiliser, à tort ou à raison, le mot « woke » pour qualifier, chez certains militants, une attitude qu'ils jugent « superficielle et de façade ».

La gauche, qui aurait pu se réapproprier le mot car il s'inscrit dans la lignée de ses combats traditionnels, va finalement le rejeter en raison justement de ce côté fourre-tout et dépouillé de sa valeur initiale.

Comme l'explique France Info, le journaliste noir de radio Sam Sanders estime ainsi que le mot « woke » ne doit plus être utilisé car il a tout simplement été vidé de son sens.

« Je voudrais demander à chacun d'entre nous de se promettre de laisser un mot derrière soi en 2018, de promettre de ne plus jamais le prononcer au cours de la nouvelle année, de promettre d'oublier qu'il a été prononcé. Je parle du mot "woke". Après plusieurs années de renouveau dans les années 2010, ce mot est fini. C'est terminé. », écrivait-il ainsi le 30 décembre 2018, à l'heure d'annoncer ses résolutions pour la nouvelle année.

Citant sa consœur Elijah Watson, Sams Sanders expliquait alors que le mot woke « était quelque chose que nous prenions au sérieux, puis il s'est transformé en quelque chose d'ironique, puis il est devenu un mème et enfin une marque déposée ».

Et de conclure : « Trinquons à l'évolution et à l'adaptation. Promettons de laisser en 2018 un mot qui a fait son temps. Il est temps d'endormir le mot "woke" ».

Force est de constater que cette évolution ou plutôt cette récupération du mot « woke », devenu presque un synonyme de caricature, est une aubaine pour les chroniqueurs, militants et autres personnalités politiques d'obédience conservatrices, qui souhaitent décrédibiliser certaines luttes.

On l'a d'ailleurs bien vu il y a quelques semaines lorsque de nombreuses voix, y compris celle du ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, s'étaient élevées contre l'intégration du pronom « iel » dans le dictionnaire Le Robert (encore lui).

Ce dernier avait en effet essuyé une salve de critiques, le plus souvent émanant des conservateurs qui reprochaient à l'ouvrage de céder au « wokisme ».

Existe-t-il vraiment une idéologie « woke » ?

Peut-on parler d'une idéologie woke et, de facto, l'attribuer à un courant quelconque bien défini ?

Là encore, difficile voire impossible de répondre car personne ne se revendique « woke » ! Il est intéressant d'observer que l'expression « idéologie woke » est utilisée essentiellement par ceux qui entendent la dénoncer.

C'est notamment le cas des voix qui s'élèvent contre une supposée influence de l'idéologie du « wokisme » au sein des universités, qui contribuerait à diffuser des idées favorisant par exemple les travaux sur les concepts de post-racialisme, d'appropriation culturelle ou encore de privilège blanc.

Difficile voire impossible de parler d'une réelle idéologie woke, car personne ne se revendique«  woke ». Crédit photo : AFP

De manière générale, l'utilisation de la formule « idéologie woke » reste surtout associée au discours intellectuel qui affirme, à tort ou à raison, que celle-ci représenterait un danger pour notre société, voire notre civilisation.

Dans un article au titre évocateur (« La folie woke, autopsie d’une idéologie destructrice ») dans lequel on peut visionner une interview d'un certain Pierre Valentin (journaliste et diplômé de l'Université d'Exeter en Angleterre) l'hebdomadaire Valeurs actuelles décrit ainsi l' « idéologie woke » en des termes dépourvus d'ambiguïté.

« L’idéologie woke marque une nouvelle étape de la pensée postmoderne et déconstructiviste. Les représentations, les coutumes et même le savoir dans les sociétés occidentales ne relèveraient plus de la production culturelle humaine, mais d’un système de domination patriarcal et raciste», peut-on lire ainsi sur le site internet du magazine.

Dans une note publiée par le think-tank français Fondapol (qui se proclame « libéral, progressiste et européen »), ce même Pierre Valentin affirme que « le mouvement woke revendique une approche postmoderne du savoir caractérisée par « un scepticisme radical quant à la possibilité d’obtenir une connaissance ou une vérité objective ». Toujours selon lui, « le wokisme défend « l’idée selon laquelle la société est formée de systèmes de pouvoir et de hiérarchies qui décident de ce qui peut être su et comment ».

« Une nouvelle culture morale, dans laquelle le statut de victime devient une ressource sociale » précise encore l'intéressé.

Cette analyse n'engage bien sûr que son auteur et celle-ci ne fait d'ailleurs pas consensus chez les universitaires.

En résumé, si la signification des termes « woke » et « wokisme » prend sa source au cœur des luttes pour les droits civiques, ils sont devenus tellement galvaudés avec le temps que les concepts qu'ils sont censés représenter, et les courants ou personnes qui s'en réclament, ne sont pas identifiables. 

Il en résulte un flou artistique, au point que personne ne s'en réclame aujourd'hui. Vous l'aurez compris, de nos jours, « woke » et « wokisme » sont donc davantage utilisés de manière péjorative par les tenants d'un discours alarmiste.

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Au sujet de l'auteur : Mathieu D'Hondt

Évoluant dans la presse web depuis l’époque où celle-ci n’en était encore qu’à ses balbutiements, Mathieu est un journaliste autodidacte et l’un de nos principaux rédacteurs. Naviguant entre les news généralistes et les contenus plus décalés, sa plume s’efforce d’innover dans la forme sans jamais sacrifier le fond. Au-delà de l’actualité, son travail s’intéresse autant à l’histoire qu’aux questions environnementales et témoigne d’une certaine sensibilité à la cause animale.